On s'était dit rendez-vous dans quinze ans

Very Bad Trip

Liam

Bon, clairement, nous avons abusé du rhum. Très clairement, même.

Quand j'ai annoncé à Max, un peu plus tôt dans la soirée, que les filles se contenteraient de danser sur des tables en chantant du Céline Dion, je n'imaginais pas que nous aussi, nous nous retrouverions à pousser la chansonnette sur les œuvres de l'artiste Québécoise.

Comment avons-nous pu tomber aussi bas, putain ?

Et si tu crois que c'est fini, jamais !

C'est juste une pause un répit, après les dangers.

Face à moi, Gab et Max reprennent « Sous le vent », un vieux duo de la star avec Garou, autre figure populaire des années 2000. Gabriel, à fond dans son interprétation, campe une Céline diablement masculine, à la voix bien plus rauque que l'original. Le résultat s'avère, étonnamment, correct.

Ou alors, j'ai vraiment trop bu.

C'est comme si j'avais pris la mer,

J'ai sorti la grand-voile

Et j'ai glissé sous le vent !

Max aussi se donne corps et âme, battant du pied avec un sens du rythme inégalé.

Une bouteille vide à la main en guise de micro, les deux amis se trouvent d'un côté et de l'autre de la terrasse, leur voix et leur posture se répondant avec une harmonie impressionnante.

Ou alors, j'ai vraiment trop bu.

C'est comme si je quittais la terre

J'ai trouvé mon étoile

Je l'ai suivie, un instant.

La chanson prend de l'ampleur et nos compères s'enflamment, jouant de mouvements de têtes étudiés et de postures gracieuses pour traduire leurs émotions déchirantes.

Putain, je suis à deux doigts de filmer le tout pour les inscrire à une de ces foutus émissions de télé-réalité musicale. Leur maîtrise vocale ne saurait être plus délicate et leur sens du spectacle plus abouti.

Ou alors, j'ai vraiment trop bu.

— Ils font de la merde, putain. J'ai jamais entendu Gab chanter aussi faux, et ne parlons pas de Max, qui affiche une tronche de type constipé.

Je me tourne vers Fabien, visiblement plus critique que moi, avant de reporter mon attention sur le duo de bras cassés.

Le doute n'est désormais plus permis. Pour apprécier ce que mon meilleur ami décrit comme une daube, j'ai vraiment trop bu.

— En même temps, on arrive à deux bouteilles de rhum vide. Fallait pas s'attendre à des merveilles, pointé-je.

Les silhouettes des chanteurs deviennent floues une brève seconde, confirmant ainsi mes propos. La quantité d'alcool qui parcourt mon organisme doit approcher une valeur indécente.

La dernière fois que je me suis retrouvé dans un tel état remonte à l'adoption de Rina, quand nous avions appris son arrivée après d'interminables années d'attente. Si ça se trouve, me bourrer le pif va nous porter chance pour le prochain bébé ?

Mes lèvres s'étirent faiblement tandis que mon cœur se serre. En fin de compte, Aly a raison. Moi aussi, je désire ce bébé, et si j'affiche une bonne humeur sans faille ainsi qu'une positivité à toute épreuve, c'est pour ne pas affronter la douleur qui gronde dans ma poitrine.

La douleur de ne pas rencontrer cet enfant qui, en dépit de ce que j'affirme, manque à notre famille.

— Ça va ? Tu tires un drôle de tête ? Ton pied te fait mal ?