Les Vacances - partie 01

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J'ai pris des vacances, enfin. Deux semaines bien méritées. Je n'ai prévenu personne, j'ai juste fait mon sac et je suis parti. Plus je vieillis et plus j'ai ce besoin régulier de tout déconnecter. Alors j'ai désactivé toutes les notifications disponibles sur mon téléphone, et j'ai filé, sans me retourner.

Destination ? Ma jeunesse. Peu de gens le savaient, mais j'étais proprio d'une petite baraque dans la ville où j'ai passé toute mon enfance. Une petite bourgade bretonne tranquille, en bord de mer, pleine de souvenirs. Aujourd'hui je n'y retrouvais mes amis d'enfance que lors des vacances d'été, lorsque tout le monde venait se mettre au vert dans la famille. On était tous éparpillés aux quatre coins de la France, voire du Monde. Peu d'entre nous étaient restés sur place pour y fonder un foyer. Ça faisait partie de ces coins où on aime grandir et vieillir, mais pas entre les deux. C'est souvent mal vu, pour je ne sais quelle raison, de s'enraciner au même endroit après le lycée.

Pour moi c'était différent. Ça faisait presque dix ans que je n'avais plus d'attache ici.Les gens changent, et les villes aussi. En remontant les rues que mon bus scolaire empruntait pour me ramener du collège, je me faisais ces mêmes réflexions de vieux sur les choses qui avaient changé depuis mon départ, et les mêmes remarques sur ce qui n'avait pas bougé d'un pouce depuis bientôt trente piges.

Histoire de me faire du mal, je suis repassé devant la maison de mon enfance. On l'avait vendu à la mort des parents ; une époque douloureuse mais nécessaire. Les nouveaux propriétaires avaient modifié le jardin, et changé la toiture pour quelque chose de plus moderne. Je me suis garé sur le bas-côté, j'ai coupé le moteur et j'ai écouté. J'ai pris une profonde inspiration, les yeux fermés : c'était l'odeur et les sons de mon enfance. Une époque lointaine où mon monde était bien différent. Je revoyais Margot chanter faux dans sa chambre, la fenêtre ouverte, pendant que papa taillait les haies entourant la propriété sur un escabeau branlant. Maman descendait étendre le linge dans le carré d'herbe derrière la maison pendant que du haut de mes huit ans, j'escaladais le pin maritime que le grand-père avait planté dans les années 50. C'était donc ça, le bon vieux temps? J'ai repris mes esprits et je suis vite reparti avant que les nouveaux proprios commencent à se demander à qui appartenait l'Audi qui venait de se garer devant chez eux.

Je quittais la rue par un raccourci connu seulement par les habitués pour me retrouver dans une succession de ruelles à peine assez larges pour une bagnole, qui serpentent entre les vieux quartiers et les chemins de randonnées boueux, pour éviter le long détour qui t'oblige à remonter par le bourg pour redescendre vers la mer. Je passais enfin devant la rue du vieux manoir pour raccorder avec la route principale. Je descendais la rue des plages et prenais soin de rouler à trente à l'heure comme tous les parisiens qui veulent profiter de la vue sur la Manche après une journée à bouffer du bitume. Je ne risquai pas de gêner la circulation, les aoûtiens étaient déjà partis et la ville reprenait peu à peu son rythme naturel. Trois bus qui passent dans la journée, les gens qui partent bosser à sept heures et qui rentrent manger le soir. Et entre les deux, pas grand chose. J'avais la rue pour moi, et j'en profitais. Le soleil perçait les gros nuages gris qui se dispersaient au-dessus de la mer calme pour teinter d'or les vagues de la marée montante. Une odeur de pluie et d'embruns embaumait l'air lourd du soir. Mon bras posé sur le montant de la vitre vibrait contre le vent salé qui remontait la colline. J'étais à la maison.

J'arrivais à la crique nord après la marée, impossible d'aller garer la bagnole devant la maison. J'allais devoir laisser l'Audi sur le parking public devant la plage et continuer à pieds le long du chemin des douaniers, en longeant l'ancienne plage nudiste pour arriver à la maison par le petit portail bleu qui donnait sur la terrasse. C'était un peu plus long mais je n'avais pas le choix. Lorsque la marée montait, la mer recouvrait le chemin de sable qui menait à la cours principale. L'ancien proprio, un pêcheur à la retraite, avait un vieux 4x4 polonais rongé par la rouille. Pour lui ça ne posait aucun problème de rouler là-dedans, mais moi je devais rentrer sur Paris après. La flemme. Je récupérai mon sac dans le coffre et remontait le sentier à pieds.

Quand j'étais gamin, on passait souvent devant cette petite bicoque qui dominait la crique. La plage en contrebas était le lieu privilégié des familles résidentes dans les années 90s. Loin de la foule des touristes, sans surveillance, avec un sable plus grossier qu'ailleurs, mais où les parents pouvaient garder un œil sur leurs enfants. Je rêvais de cette maison, juchée sur sa colline, entourée d'ajoncs et de fougères aussi hautes que moi à cet âge-là. Quand je serai plus grand c'est là que je veux habiter, disais-je à ma mère, et je lui racontais comment je l'inviterais à venir prendre un chocolat chaud sur la terrasse pour voir le soleil se coucher sur la mer à l'ouest. Je nous imaginais danser et chanter les soirs d'été sous la lueur des lampions accrochés au fil à linge tendu entre la gouttière et le cyprès planté au milieu du jardin, comme dans les histoires de Pagnol, profitant en famille d'une dernière grillade estivale, mais sans l'accent du sud.

La maison n'avait pas bougé depuis l'année dernière, mais je le savais déjà. J'avais encore des contacts dans le coin, des amis de la famille qui acceptaient de venir jeter un œil à la maison de temps en temps. Pour les remercier, je leur permettais d'y héberger de la famille en visite les week-end d'été où je ne descendais pas en Bretagne. Tout le monde y trouvait son compte. Je n'avais pas envie de louer la baraque, ce n'est pas comme ça que mon père m'avait élevé. Mon sac à peine posé, et après avoir ouvert toutes les fenêtres pour faire circuler l'air, je me suis adonné à mon rituel : repartir par le portail bleu, descendre les marches de granite menant à l'ancienne plage nudiste, poser mes fringues sur un rocher tout en prenant soin d'y poser une pierre pour éviter qu'elles ne s'envolent, et me jeter à l'eau. Après l'orage, la mer est chaude, en tout cas assez chaude pour un gars du coin. Ce premier bain des vacances était sacré à mes yeux. Je me lavais des soucis de la vie quotidienne, et je retrouvais le Max d'ici, le Max d'avant.Je n'avais pas eu le temps de faire les courses, alors en remontant de la plage encore trempé, les fringues sous le bras, je me suis dit qu'une bonne pizza ferait l'affaire pour ce soir. Pas de alloresto dans le coin, le genre de détails qui te rappellent qu'en province on vit vraiment en décalé. Avec un peu de chance, les resto du coin étaient encore en horaires d'été, et il me suffirait de me rendre sur la Corniche pour trouver mon bonheur. Le bain m'avait vraiment mis de bonne humeur. J'avais envie de sortir, de prendre le temps de profiter de la soirée, de marcher au ralenti pour saisir l'instant. Rien ne pressait.

Je me retrouvais donc à l'autre bout de la ville, dans la partie animée, le coin touristique. Rien n'avait changé, ou presque. La grande crêperie de la plage était toujours là mais avait changé de nom. Attrape-Touristes par excellence, elle proposait des les pires crêpes de toute la région, de la bouffe surgelée à des prix exorbitants. Si ça se trouve les mauvaises pratiques étaient parties avec les mauvais proprios ? Mais bon, pas envie de me faire avoir aussi facilement. Chat échaudé craint l'eau froide. Nan il fallait que je trouve le bon plan apprécié des connaisseurs. J'éviterai soigneusement les files d'attente remplies d'anglais et tout autre indice d'un touriste sur le point de se faire arnaquer : un vêtement breton porté comme un costume, des claquettes achetées à la boutique près du stand à granités, ou un sac à dos de randonnée porté serré. Quand tu vois ça, en général, ça pue.

Il fallait que je trouve une terrasse remplie de jeunes sans adulte. Ici, les vieux mangent chez eux ou sortent dans un bon resto de fruits de mer. Les bons spots à emporter sont l'apanage des jeunes du coin. Me dissocier de la catégorie des "jeunes" était une idée assez cocasse et un peu triste en même temps, mais il fallait que je l'assume. J'étais un vieux jeune ou un jeune adulte, mais plus un jeune-tout-court. Je passais devant un resto à tapas qui semblait avoir bonne réputation, mais je préférais un truc du cru, pas quelque chose que les locaux verraient comme une nouveauté un peu fancy. crêpes, pizza, même une bonne petite marmite de moules au vin blanc, ça c'était ce que je recherchais. La pizzeria de mon enfance avait fermé depuis longtemps, pareil pour la bonne crêperie tenue par la vieille madame Bougant. C'était un folklore qui commençait à s'oublier, ces vieilles guérites faisant fit de tous les contrôles sanitaires possibles, où la bouffe était à tomber par terre et ne coûtait rien parce que les impôts locaux étaient dérisoires à l'époque. Et voilà que je radote à nouveau. Je ne désespérais pas, j'allais bien trouvé un nouveau spot à l'ancienne avec du caractère et un amour des produits locaux.

Je parcourais la Corniche, que mes parents appelaient La Promenade des Anglais, avec l'océan sur ma droite, et le défilé des restos branchés sur ma gauche. Rien de folichon pour qui voulait manger, mais pour l'happy hour, c'était le paradis. Je me souvenais de nos samedis soirs entre potes, lorsqu'on planquait nos alcools dans un sac à dos dissimulé dans un buisson, et que nous prenions quelques verres à la terrasse du Goya. Le patron nous laissait descendre de sa terrasse pour se poser sur la digue juste devant. On refaisait le monde face à la mer, et on regardait le défilé des beautés qui faisaient des allers-retours sur la promenade en attendant d'être abordées, sous la surveillance du maître-chien au regard vitreux qui m'a bien trop souvent aspergé de lacrymo sans aucune raison.

Aujourd'hui j'étais trop vieux, ou trop moche, pour qu'un regard s'attarde sur moi, mais je ne venais pas ici pour ça.

J'ai fini par trouver mon bonheur au Kenavo, une crêperie-pizzeria qui s'était installée à la place du Goya de mon adolescence. J'ai toujours trouvé ça étrange que les crêperies proposent toujours des pizzas à emporter plutôt que d'autres variétés de crêpes du reste du monde. C'est pas comme si les deux étaient préparées avec les mêmes ingrédients en plus. Un jour il faudra qu'on m'explique cette spécificité.

Le gamin au comptoir qui aurait très bien pu être le petit frère d'un de mes potes me prit pour un touriste et essaya de me faire rester sur place pour goûter aux meilleures crêpes du littoral. Je lui expliquai que j'avais vécu ici presque vingt ans et qu'il n'avait pas besoin de bonimenter. Après avoir cherché pendant un bon quart d'heure si on avait des connaissances en commun, en vain, je repartis avec mes deux crêpes géantes et une bouteille de bière blonde bretonne impossible à trouver en île de France.

En rentrant à la baraque, je me suis posé sur la terrasse avec ma bière et mes pizzas encore chaudes, face à la mer, avec un match de foot qui passait à la télé du salon. J'étais bien. À peine arrivé et déjà, le stress qui se dissipait, et la fatigue des kilomètres avalés commençait à se faire sentir. Que faire après? Retour sur la Corniche pour voir si je reconnaissais d'anciens crushs du lycée? Un peu osé pour un premier soir.

Bon, et si on rallumait le portable pour voir ce qu'il y avait de beau sur Blaze?

LE JOURNAL DE MAXOù les histoires vivent. Découvrez maintenant