Chapitre 4 : Le Monde De Kaïna 2/6

141 32 130
                                    

- Je vous ai vue en rêve, lâcha Eloane dans un soupir.

Elle était tétanisée depuis une minute, son cerveau venait à peine de lui permettre de parler. C'était la seule chose qu'elle avait trouvé à dire.

Tous les regards convergèrent vers elle.

- Je suis Liorah, ta tante. Vous êtes de retour chez vous, parmi vos familles.

Il y eut un temps d'arrêt, comme si le monde avait stoppé sa course une seconde. Seule la mélodie de la nuit, qui jouait en fond, attestait que la vie continuait toujours son cours.

Le cerveau d'Eloane fit un looping. Elle fut prise d'un vertige. Son esprit ne pouvait pas concevoir ces paroles, mais, inexplicablement, dans son âme, elles faisaient écho. Comme si elle reconnaissait un être cher à son cœur, sans se rappeler où elle l'avait rencontré. D'ailleurs, son organe vital tambourinait contre ses côtes avec violence. La situation semblait tellement folle qu'elle pensa être en train de rêver. Il n'y avait pas d'autre explication logique.

Pourtant, son corps lui dictait le contraire : sa peau frissonnait sous le froid de la brise, une piqûre de moustique la démangeait et la main d'Addie l'écrasait toujours. Cette douleur-là était bien la preuve qu'elle ne dormait pas.

- Famille ? s'amusa Feng. Raté, je suis orphelin. Vous pouvez arrêter les caméras.

Un grondement sourd roula dans le ciel, alors que le firmament brillait sans encombre. L'orage qu'ils venaient de subir devait se déchaîner plus loin.

L'homme enturbanné rompit sa position pour s'avancer. Ses yeux étaient d'un bleu égal à son apparat. Eloane trouvait qu'il ressemblait à Feng. Il était plus grand, large et musculeux, pourtant, on pouvait déceler les mêmes lèvres fines, la même forme un peu bridée de ses yeux et un visage allongé, bien qu'une barbe habillait le sien.

Il ne portait pas le même air cynique. Son visage était grave, sa rage à peine contenue.

Il ne put articuler qu'une seule phrase, les dents serrées :

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Que je n'ai aucune famille, répéta Feng. J'avais des géniteurs, mais ils sont morts il y a six ans, dans un accident de voiture qui a failli me tuer. Les secours m'ont désigné comme un miraculé, tu parles ! J'ai passé des mois en fauteuil roulant, j'étais pas censé remarcher un jour. Peut importe, j'ai aucun souvenir d'eux. En fait, j'ai aucun souvenir avant ce jour-là. « Choc post-traumatique », ils m'ont dit à l'hôpital. Après ça, j'ai été recueilli par deux minables dans un trou paumé.

» Je sais même pas pourquoi je vous raconte ma vie, ça vous regarde pas. Vous êtes qui, exactement ? Et comment vous avez fait pour nous transporter jusqu'ici ? J'ai senti qu'on tombait dans une trappe et qu'il y avait un genre de toboggan. On est dans une pièce de réalité virtuelle, c'est ça ?

Plus Feng en dévoilait, plus l'homme enturbanné perdait le peu de contenance qui lui restait. Sur la dernière phrase, la couleur de ses yeux avait changé. Ils étaient aussi sombre qu'un ciel orageux.

Un éclair zébra le firmament, explosant dans un tonnerre retentissant. Les six jeunes sursautèrent. Cela n'avait rien de simulé. Tout était bien réel.

Des oiseaux s'envolèrent par centaines de la forêt environnante à grand tire-d'ailes et de cris affolés, mélange cacophonique et angoissant. Des nuages noirs se formèrent au-dessus de leurs têtes, sortis de nulle part.

En face d'eux, pas d'inquiétude, comme si tout était normal. Seulement, une tristesse se ressentait sur les expressions des personnes visibles, même sur celui de la femme au collier. L'individu au turban avait posé un genou à terre et regardait le sol.

- Zephyr, dit Liorah en se rapprochant de lui. Ils ne savent pas où ils sont ni qui ils sont. Cela ne peut vouloir dire qu'une chose : il y a eu un problème. Je partage ta peine, crois-moi, mais ils ne comprennent pas ce dont nous sommes capables, alors si tu pouvais éviter de les terroriser dès les premières minutes, je t'en serais reconnaissante.

- Un problème ?! Hurla-t-il par-dessus le vacarme. Mes parents sont morts. C'est bien plus qu'un simple problème !

La souffrance déformait son visage. Des bandes de tissus pendants de sa toge battaient l'air, comme la chevelure de Liorah. La tempête revenait pour un second tour, plus puissante que jamais. Les six compagnons s'étaient resserrés plus encore, se touchant presque.

Eloane avait dans l'idée d'amorcer un pas en arrière, pour retrouver l'abri dans le tronc de l'eucalyptus dont ils sortaient, mais elle n'osait pas bouger. Terrifiée, elle attrapa la main la plus proche, celle chaude et calleuse de Keegan, et il la pressa en retour. Addie s'agrippait toujours de toutes ses forces à son autre main, qu'elle ne sentait d'ailleurs plus. Le vent qui les fouettait glaçait le corps mouillé d'Eloane. La chaleur qui irradiait du garçon était son seul répit.

- Ils connaissaient les risques, dit la femme au collier.

Sa voix suave cassait avec sa froideur. Ses boucles frisées coupées très court ne pâtissaient pas de la tempête qui redoublait de puissance. Elle soutint le regard de l'homme au turban. Sur lui, la haine avait remplacé la douleur.

- Je t'en prie.

Liorah avait doucement posé une main sur l'épaule de Zephyr. Pendant un instant, l'air sembla frémir autour d'eux, avant qu'il ne se dégage de sa prise.

- Pas de ça avec moi, gronda-t-il en même temps que le ciel.

Cette fois, la foudre frappa le sol à quelques dizaines de mètres d'eux à peine. Le sol en trembla. Les six jeunes hurlèrent de terreur, sauf Keegan, qui s'était placé devant Eloane et Addie et les protégeait comme il le pouvait de son corps. Aimé, malgré sa frousse, faisait de même derrière le groupe, les englobant tous.

De grosses gouttes se mirent à les battre, tels des grêlons.

- Assez ! s'écria Liorah en frappant dans ses mains.

Une onde de choc invisible parut heurter Zephyr, qui fut projeté en arrière. La tempête se dissipa aussitôt, à une vitesse incroyable, presque magique. L'homme au turban bleu ciel se releva souplement, scandalisé, comme si Liorah venait de le gifler.

Aimé releva son torse, ouvrant la protection qu'il avait créée. Keegan se décala et Eloane lâcha sa main, sous prétexte de remettre ses cheveux, à nouveau détrempés, derrière ses oreilles. En vérité, sa proximité la perturbait.

Eloane détourna les yeux de cette scène qu'elle ne comprenait pas vraiment. À moins d'avoir halluciné, elle avait entendu Zephyr dire que ses parents étaient morts. Or, Feng avait parlé des siens. Un détail l'avait également marquée : l'accident qui avait rendu Feng orphelin et amnésique était arrivé à la même période que le sien. Elle ne savait pas pourquoi elle n'avait pas encore paniqué. Peut-être le fait de savoir qu'elle n'était pas seule.

Eloane avait raté l'échange entre Zephyr et Liorah, mais c'est cette dernière qui ferma la conversation.

Son ton était doux :

- Rentre au château et lance un appel au Conseil Exceptionnel. Préviens tout le monde sur le chemin. S'il te plaît. Nous pleurerons ensemble plus tard. C'est trop important. Cours.

Elle avait rajouté ce dernier mot tellement bas qu'Eloane faillit ne pas l'entendre. Sans un regard en arrière, Zephyr s'enfuit à toutes jambes, rapide comme le vent.

- C'est quoi son problème, à lui ? demanda Feng après que l'homme enturbanné eut disparu au-dessus de la butte.

Liorah ouvrit les bras en apaisement.

- Zephyr est ton frère. Il ne s'attendait pas à ce que vos parents aient péri pendant leurs missions.

Feng conserva un visage sans émotion, mais son teint était livide et ses poings serrés.

- Vous allez trop loin.

- Où sommes-nous et qui sommes-nous censés être, selon vous ? demanda Eloane d'une voix qu'elle essayait de maintenir calme.

Son cœur, lui, paniquait.

- Vous vous trouvez à Kaïna, un monde magique caché des Humains. Nous sommes, vous êtes, des Gardiens, capables de manipuler les Éléments Créateurs : Lumière, Air, Ether, Eau, Feu et Terre.

Les Héritiers - Le Cycle Des Éléments [ En Cours... ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant