2-Le Franchissement

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Le jour avançait lentement, cruel et implacable. Je m'enfonçais dans les bois, la capuche de ma cape rabattue sur ma tête pour me protéger des rayons du soleil. La lumière m'agressait, brûlait mes yeux habitués à la pénombre. Chaque pas dans cette forêt dense me semblait une épreuve. Les ombres des arbres m'apportaient un répit temporaire, mais elles ne pouvaient effacer la chaleur et la clarté accablantes.

Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une étrange solitude. Le silence des bois, interrompu seulement par le bruissement des feuilles ou le cri lointain d'un corbeau, semblait se refermer sur moi. Mon cœur battait fort, non seulement à cause de la fatigue mais aussi à cause de ce que je savais approcher : la frontière du royaume des elfes.

Les elfes. Ces créatures graciles, si semblables à nous par leur apparence mais si différentes dans leur essence. Ils étaient nos ennemis depuis si longtemps que même les plus anciens de notre peuple ne se souvenaient plus de la cause de notre rivalité. Pourtant, pour moi, ils avaient toujours été source de fascination. Leur connexion avec la nature, leur lumière intérieure, tout cela semblait si éloigné de la noirceur qui imprégnait mon propre sang.

Et il y avait lui.

Je ralentis lorsque je reconnus les lieux. Les arbres devenaient plus grands, leurs troncs plus anciens, et leurs racines formaient des chemins sinueux qui semblaient presque vivants. Je savais que la frontière était proche. Un mélange d'appréhension et de nostalgie s'empara de moi alors que les souvenirs remontaient.

Rûn.

Un sourire fugace étira mes lèvres à l'évocation de son nom. Quand j'étais enfant, j'étais venu ici à de nombreuses reprises, attiré par une curiosité que je ne comprenais pas encore. Un jour, alors que j'observais la frontière, je l'avais vu. Un jeune elfe aux cheveux noirs et aux yeux d'un bleu éclatant. Il semblait aussi curieux que moi, aussi intrigué par l'inconnu que je l'étais par lui.

Nous nous étions rapidement liés d'amitié, malgré la haine séculaire qui séparait nos peuples. Nous jouions, parlions de nos vies, de nos rêves, et surtout, de ce que pourrait être un monde sans cette frontière entre nous. Mais jamais nous n'avions osé la franchir.

Je ne savais pas ce qu'était devenu Rûn. Le jour où nous avions été découverts avait scellé notre destin. Les cris, les accusations, les menaces... Je m'en souvenais encore. Depuis ce jour, je n'étais jamais revenu à la frontière, et je n'avais jamais revu Rûn.

Et pourtant, aujourd'hui, le destin me ramenait ici.

Je m'arrêtai au pied d'un arbre dont les racines formaient un arc naturel. Je savais que cet arbre marquait la fin de notre royaume et le début du leur. La frontière invisible mais palpable se dressait devant moi, et mon cœur s'accéléra.

Pour un instant, je fus envahi par l'hésitation. Devais-je vraiment faire cela ? Traverser dans un territoire où je serais considéré comme un ennemi, un intrus ? Mon instinct me hurlait de rester, de trouver une autre voie, mais une voix plus forte s'éleva en moi : Rûn.

Je pris une profonde inspiration et fermai les yeux. Les Némérys possédaient de nombreux dons, et l'un des miens était celui de dissimuler ma véritable nature. D'un geste de la main, je murmurai une incantation, et je sentis la magie couler en moi. Je rouvris les yeux et les vis refléter une teinte azur. Mes yeux jaunes, marque indélébile de mon peuple, étaient devenus bleus, pareils à ceux des elfes.

Ce n'était qu'une illusion, mais elle suffirait.

« C'est maintenant ou jamais », murmurai-je en fixant la frontière.

Je franchis l'arc des racines, et le monde sembla changer autour de moi. Les arbres étaient plus lumineux, les chants des oiseaux plus clairs, l'air lui-même semblait plus léger. Je me trouvais désormais en terre ennemie, mais étrangement, une sensation familière s'empara de moi.

Chaque pas que je faisais me rapprochait d'un souvenir, d'une époque où cette frontière n'était qu'un lieu de rencontre, et non une barrière. J'avançai prudemment, mes sens en alerte. Mais au fond de moi, une partie espérait.

Espérait revoir Rûn.

le voyage de VilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant