Les jours passaient, et je continuais à jouer mon rôle de garde. J'avais appris à m'adapter à ce nouvel environnement, dissimulant avec soin ma véritable nature. Je respectais les protocoles, exécutais mes tâches avec discipline, et observais en silence les intrigues qui se tramaient dans le palais du roi Kerna.
Mais chaque jour, mon esprit revenait à Rûn. Depuis cette première rencontre, je n'avais cessé de me demander ce qui lui était arrivé. Ses bleus, sa maigreur, sa peur palpable... Il n'était plus le garçon insouciant et curieux que j'avais connu. Quelque chose l'avait brisé, et cette pensée me hantait.
La nuit était mon seul refuge. C'est à ce moment-là que je quittais le palais en secret, plongeant dans les profondeurs de la forêt pour chasser. Le sang restait une nécessité pour moi, et bien que les elfes soient méfiants des prédateurs nocturnes, j'avais appris à couvrir mes traces. Mais cette double vie m'épuisait.
Ce soir-là, alors que je retournais vers mes quartiers, j'empruntai un couloir vide et faiblement éclairé. Le silence y régnait, à peine troublé par le craquement du bois vivant qui constituait le palais. Mais soudain, un bruit discret attira mon attention.
Je m'arrêtai.
Un mouvement rapide à la lisière de mon champ de vision. Je tournai la tête et vis une silhouette frêle sortir des cuisines, une miche de pain serrée contre sa poitrine.
Rûn.
Il me vit avant que je ne puisse dire quoi que ce soit. Ses yeux s'écarquillèrent, remplis de panique. Il recula d'un pas, ses épaules tremblantes comme s'il s'attendait à une agression immédiate.
« P-...pitié... je ne voulais pas... ne me faites pas de mal, je vous en supplie, » bredouilla-t-il, à peine audible, sa voix brisée par la peur.
Je levai une main dans un geste apaisant, bien conscient que le moindre mouvement brusque pourrait le faire fuir.
« Rûn, parle moins fort, » murmurai-je doucement.
Il se raidit mais obéit, sa respiration restant saccadée. Ses mains serrèrent davantage la miche de pain, comme s'il craignait que je la lui arrache.
C'est alors que je remarquai à quel point il était maigre. Ses joues étaient creuses, ses bras semblaient frêles sous ses vêtements usés. Depuis mon arrivée, je ne l'avais jamais vu manger. Il se fondait dans les ombres du palais, invisible aux yeux des autres, mais moi, je le voyais. Et ce soir-là, la vérité était évidente : Rûn luttait pour survivre.
« Écoute-moi, » dis-je en baissant encore la voix. « Je vais me retourner et oublier ce que j'ai vu. Toi, tu vas partir. Maintenant. Rapidement. »
Rûn me fixa, hésitant, ses yeux bleus brillant dans l'obscurité. Il semblait incapable de comprendre pourquoi je faisais cela.
« Vas-y, » insistai-je en me détournant lentement, lui offrant mon dos comme une preuve de ma parole.
Un silence tendu suivit. Puis j'entendis un souffle léger, presque un murmure.
« Merci. »
Des pas précipités retentirent derrière moi, s'éloignant dans le couloir. Je restai immobile jusqu'à ce que le silence revienne, puis je relâchai un souffle que je ne savais pas retenir.
Je savais que ce que je venais de faire était risqué. Si Kerna apprenait que j'avais ignoré ses ordres, ma couverture serait compromise. Mais en cet instant, je ne pouvais m'en soucier.
Je ne pouvais pas abandonner Rûn, pas cette fois.
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le voyage de Vil
AdventureDans le royaume isolé des Némérys, une race mystérieuse à l'apparence elfique mais marquée par le sang des vampires, une tradition immuable régit le passage à l'âge adulte. Chaque jeune Némérys doit survivre une année complète hors des terres protec...