Les Pivoines Du Mal

Chapitre 30 : La marâtre oubliée.

  Commençons par la marâtre : cette femme, complice des abominations perpétrées par mon père, celle qui, depuis des années, traînait ses talons aiguisés dans l'ombre de ses crimes. Elle portait toujours un masque de tourment et de folie, mais son âme... ah, son âme était un gouffre.

  Au début, cette famille - car il faut bien un mot pour décrire cet amas d'individus unis par la pourriture - formait la plus belle des unions criminelles. La marâtre névrosée, le patriarche silencieux, son fils adoré... et moi, pièce rapportée d'un puzzle maléfique. Une fois encore, je n'étais qu'une intruse. Pourtant, ensemble, nous avions tissé un équilibre chaotique, un ballet funeste où chaque pas de danse menait au désastre.

  Notre appartement, disons-le, n'était qu'un écran de fumée. Quatre murs d'une banalité mortelle, les rideaux légèrement jaunis par la nicotine, des meubles chinés et trop propres pour ne pas sembler suspects. 

  Noël approchait. Le contraste entre les festivités factices et notre véritable nature n'aurait pas pu être plus grotesque. Des couleurs éclatantes envahissaient le salon. Les guirlandes volées, accrochées de travers, brillaient d'un éclat presque ironique. Les boules, probablement subtilisées dans un grand magasin, renvoyaient un reflet qui déformait nos visages. 

  Je me souviens encore de Miranda, le sourire pincé, décorant méthodiquement, comme si elle sculptait une œuvre. Elle s'y appliquait avec une minutie absurde, presque comique, quand on savait qu'à la nuit tombée, ces mêmes mains soignées caresseraient d'autre horreur. 

- Tout doit briller, disait-elle. Même le mal a droit à son éclat.

  Les premiers soirs, en rentrant de nos méfaits, l'excitation était palpable, presque contagieuse. Miranda, avec son regard d'enfant cruel et son sourire trop large pour être sincère, irradiait d'une énergie inquiétante. Elle nous attendait toujours au milieu du salon, la lumière tamisée projetant son ombre sur les murs. Elle dansait, légère et aérienne, comme si les horreurs venaient de se dissiper en poussière.

  David la rejoignait inévitablement, après avoir enclenché son tourne-disque. Ensemble, ils virevoltaient sur le tapis râpé, comme deux amants éperdument heureux. Leurs rires, sonnants et étranges, résonnaient dans l'appartement, écho absurde de leur complicité criminelle.

  C'était... troublant. Fascinant, même, de les observer. Ce duo parfaitement désaccordé, capable de passer d'un carnage sanglant à une valse intime en un claquement de doigts. Leurs pas étaient si synchronisés, si pleins de vie, qu'un observateur naïf aurait pu les croire amoureux. Heureux, même. C'était ça, le plus effrayant : leur capacité à incarner le bonheur factice, à enfiler ce masque d'humanité après avoir arraché celle des autres.

  Parfois, je me surprenais à regarder trop longtemps. À attendre que quelque chose se brise, que la façade s'écroule sous le poids de leurs crimes. Mais non, rien. Ils tournaient encore et encore, un couple parfait dans l'imperfection de l'horreur. Et moi, spectatrice silencieuse, je me demandais combien de temps cette mascarade allait tenir. Combien de nuits encore avant que tout ne bascule.

  Adam et moi-même fûmes surpris de voir que Miranda cuisinait. Pas juste des repas à la va-vite, non. De vrais festins, presque trop parfaits, comme sortis tout droit d'un magazine de cuisine. Elle se comportait en tout point comme une femme au foyer modèle, le tablier noué autour de sa taille fine, un sourire de cire plaqué sur son visage. Si on avait ignoré la vérité, on aurait pu croire à une caricature de la perfection domestique.

  David l'avait façonnée, comme un artiste cruel, à son image et à ses désirs. Il l'avait transformé en un petit chien docile, obéissant, prêt à exécuter ses moindres caprices. Le jour, elle incarnait la maîtresse de maison irréprochable, nettoyant chaque surface jusqu'à ce qu'elle scintille, et concoctant des plats qui emplissaient l'air d'arômes trompeusement chaleureux. Mais la nuit... la nuit, elle devenait sa complice. Une ombre insatiable à ses côtés, dans un tourbillon de sexe et de sang.