Un claquement retentit dans le petit appartement. La ville s'invita dans l'entrée. L'écho s'affaiblit dans un soupir. Puis, le bruissement du tissu et la casquette de chauffeur qui fit tinter le porte-manteau usé turent le tumulte de l'extérieur. Il se déchaussa et laissa ses mocassins à côté des tatamis ; il ne s'arrêta que pour contempler distraitement un photo vieille d'une dizaine d'année. Rumi, Shibusawa, et la copine de celui-ci avec qui il avait fini par se marier, et lui appuyés sur une balustrade pendant qu'un autre de leurs amis avait pris cette photo un jour d'avril. Il s'agissait d'une contre-plongée avec les cerisiers en fleurs à Ueno. Ils avaient séché ce jour-là et s'étaient faits gronder lorsqu'ils furent de retour chez eux. Ce souvenir se paraissait à chaque fois d'une aura de tendresse presque intacte.
Maruki soupira une nouvelle fois en regardant cette photo. Il la contemplait chaque fois qu'il revenait à son appartement après une longue journée. Il n'arrivait pas à se défaire de cette rengaine. Et puis... Rumi avait l'air si heureuse... Ses beaux cheveux châtains, déjà courts à cette époque, résistaient aux assauts du vent grâce à ses petites barrettes colorées. Maruki avait appris à les lui mettre comme elle le ferait devant sa glace. À l'hôpital, elle avait paniqué quand il avait tendu la main pour la recoiffer alors que le courant d'air soufflant sur son corps raidi comme une corde de piano ne la faisait plus trembler d'émoi. Maruki s'était promptement éloigné avant de se confondre en excuses et de laisser les médecins s'employer à calmer Rumi en pleine crise de réminiscence due à son stress post-traumatique.
L'ancien docteur déglutit difficilement. En fait, il avait vu Rumi depuis son fiasco face aux Voleurs Fantômes ; c'était lui qui l'avait emmenée jusqu'à l'aéroport Haneda avec de grosses valises. Elle semblait aller plutôt bien. Ses cernes avaient presque entièrement disparu, son teint pâle avait pris de chaudes couleurs et elle ne tremblait presque plus. Là-bas, elle y avait retrouvé un homme à l'accent étranger qu'elle avait embrassé avec la timidité que Maruki lui connaissait. Dans sa réalité illusoire, ce dernier avait permis à Rumi de rencontrer sa vision de l'homme parfait après la guérison miraculeuse de sa maladie. Ils avaient été au parc d'Ueno pour un rendez-vous au début de la nouvelle année ; par un mystère insondable, il y avait des cerisiers en fleurs un 2 janvier. La réalité d'Azathoth n'avait pas empiété sur leur relation ; Rumi avait rencontré l'homme de ses rêves avant la fusion parachevée avec le Memento.
Maruki baissa la tête, mâchoire serrée avant de progresser un peu plus loin dans son appartement. Des bouteilles de saké trainaient encore sur les tatamis et sur la table. Il devrait tout nettoyer ; Shibusawa devait passer le lendemain soir. Ce sera pour plus tard. Maruki laissa deux bols de nouilles qu'il avait pris au 777 près de l'endroit où il avait déposé son dernier client de la journée. Il prit le paquet de cigarettes trônant au centre de la table avec un briquet. La chaise de camping gémit sa fatigue tandis qu'il s'asseyait. Le balcon donnait sur les toits du quartier d'Ota, au Sud-Est de la ville. L'arrondissement était résidentiel et calme. Quelques chats miaulaient au loin. Un autre, blanc et noir, assis sur un toit voisin participait allègrement à ce tapage facétieux et semblait même y donner du sens comme si c'était sa tâche.
Une brise légère s'élevait au-dessus des buildings et balaya quelques mèches des cheveux de Maruki. Celui-ci alluma une cigarette, protégeant la flammèche contre l'assaut du vent. Il laissa la fumée envahir ses poumons à la première inhalation de tabac et retint son souffle quelques secondes. Le shot de nicotine l'aida à se détendre. Il refit la même action plusieurs fois pour retrouver cette première sensation, sans succès. Maruki ferma les yeux un instant puis les rouvrit. Les couleurs ocres singulières du jeu de l'ombre et du soleil couchant sur les bâtiment provoquait cette surprise ténue dans son cœur. Les averses de la veille apportaient un léger éclat inhabituel ; comme du mercure coulant dans des trous de sable au milieu du désert.
Sa cigarette se consuma bien vite. Il voulut en reprendre une deuxième mais s'y refusa. Il ne fumait pas par habitude. C'était les jours doux-amers comme aujourd'hui qui le motivaient à trouver des distractions. Il se mit à repenser aux problèmes des clients qu'il avait eu dans son taxi aujourd'hui. Des troubles d'anxiété, problèmes d'adaptation, TOC, perfectionnisme, hypervigilance, syndrome de l'imposteur ; tout cela à des intensités variables avaient occupé sa journée. Il s'attachait à ce que ses clients partent le cœur plus léger. Il n'avait plus qu'à recommencer le lendemain.
Un sourire, même aigre comme un soleil d'hiver, en valait bien la peine.
Sisyphe est heureux, lui.
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One Shots Multifandom
أدب الهواةYo à ceux qui passent par là ! Je suis Krem_de_la_creme et auteure d'OS sur Wattpad. Ce recueil sur lequel tu viens de tomber est pour ainsi dire à but thérapeutique pour mettre mes obsessions en ordre. J'espère que tu trouveras ton bonheur parmi...
