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Jamais je ne me suis senti aussi seul

(5 pages)

C'est un de ces soirs de janvier que je déteste. Il fait froid dehors. La neige n'a pas encore pointé le bout de son nez depuis le début de la saison. En plus de cela, un épais brouillard s'est installé il y a plusieurs semaines déjà et semble vouloir persister encore longtemps. Tous les arbres ont une couleur foncée, presque noire, sûrement à cause de l'humidité constante qui flotte dans l'air. Personne ne prend le risque de sortir de sa maison. Tout le monde est cloîtré bien à l'abri, bien au chaud.

C'est triste à voir. Et à-vrai-dire, ça ne vient que miner d'avantage mon moral. Jamais je n'aurais cru qu'un simple temps hivernal puisse tant m'affecter. Ma vie n'est de toute façon pas rose, loin de là, mais je ne suis pas le genre d'homme à se laisser influencer par des choses si futiles. Pourtant, juste à regarder dehors, voilà que je me mets à broyer du noir. Oui, bien sûr, ce n'est pas seulement le temps qui me rend dans cet état. Je ne fais que me voiler la face, je ne veux pas voir la réalité telle qu'elle est. Mais je n'aime pas vraiment en parler, c'est tout.

Mon entourage m'a dit que je devais, justement, que ça m'aiderait à extérioriser mes sentiments et à passer à autre chose. Alors pourquoi pas? Ça serait l'occasion, d'en parler. Bien. Mais comment passer à autre chose? C'est impossible, tout bonnement impossible. Jamais je ne voudrais revivre ça. Je l'ai vue mourir. J'ai vu ma femme, ma moitié, ma vie s'éteindre sous mes propres yeux. Je m'en souviens comme si c'était hier, tous les détails me reviennent en mémoire, si précis, si nets. Je conduisais ce soir-là. Il faisait froid, comme aujourd'hui. Et puis... Non, vraiment, je suis désolé. Je peux pas, je peux pas en parler. C'est trop douloureux. Je suis sincèrement désolé.

Je sens une larme perler au coin de mon œil, alors que ma gorge se noue. Quel idiot, je ne peux quand même pas me permettre de pleurer, pas maintenant en tout cas. Et puis, ma décision est prise. Je ne vais pas revenir dessus. Ce soir tout sera fini, et tant mieux. Je pourrai me reposer paisiblement, et enfin profiter d'un sommeil éternel. Oh, si vous saviez à quel point j'ai hâte.

J'entends soudain toquer à la porte de ma chambre. J'essuie rapidement mes larmes, comme un pauvre enfant qui ne veut pas montrer ses faiblesses. C'est ridicule. Puis, je me lève de mon lit et m'approche de la porte.

-Oui, qui c'est?

-C'est moi Papa! me répond-elle de sa voix aiguë.

-Oh, entre Zoé, entre.

Ma fille fait irruption dans la pièce, avec une mine contrariée. Ses cheveux blonds ne sont pas bien coiffés et elle a des petits yeux. Elle porte son pyjama rose que sa mère lui avait offert, l'hiver dernier.

-Papa, j'arrive pas à dormir. Il fait trop froid dans ma chambre. Je veux venir vers toi.

-Mais tu sais, je ne dors pas encore, je lui dis.

J'hésite un instant. Oui, c'est le moment ou jamais. Alors je me lance;

-Je voulais qu'on aille se promener, ce soir. Qu'est ce que tu en dis? Ça te tente?

Elle affiche une mine encore plus contrariée.

-Ce soir? Maintenant? Mais je vais finir gelée!

Il faut qu'elle accepte, elle n'a pas le choix. Si je m'en vais, elle doit s'en aller avec moi. Elle ne peut pas vivre seule, elle n'a que six ans. C'est cruel, mais c'est juste. Oui, après tout je ne veux que son bien.

-Je n'ai pas envie d'y aller seul, je rétorque. Papa n'aime pas la solitude, tu comprends? Il faut que tu l'accompagnes...

Je lui lance un regard insistant, presque implorant, en lui faisant un sourire timide. Je sens les larmes qui remontent quand je la regarde. Elle a une bouille d'ange. C'est fou comme le temps file, j'ai tout à coup l'impression de ne jamais l'avoir vue grandir. Si elle savait, Bon Dieu, si elle savait...

Wattpad Horror Tournament 2015 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant