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Journal d'une psychopathe

(3 pages)

Ce soir le ciel est noir et les nuages sont rouges comme le sang. Le vent est âpre et verdâtre, comme une nuée de poison. On sent au brouillard que la Mort est proche. Je crois voir un squelette un instant dans la pénombre. Je me retourne vers lui, il a disparu.

- Mortem... Que le règne mortifère arrive ! Mort aux humains !

Je souffle, ma voix semble le sifflement d'un serpent. Ai-je vraiment prononcé ces paroles ?

 -Malheur ! Malheur ! Malheur !

Je vois des morceaux de cadavres en décomposition qui ondulent à travers la nuit. Une tentacule visqueuse glisse sur ma jambe. Je frémis.

- Comment as-tu pu faire ça ? Misérable !

... Maman ?

Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Ses yeux sont lourds de poches noires, elle pleure, son regard est empli de haine... D'ailleurs, où suis-je ?

- Regarde-toi ! Tu es encore souillée ! Comment ai-je pu te mettre au monde ? Tu n'étais même pas désirée ! Maudit soit le destin ! Tu es venue trop tôt ! Je voulais quelques années en plus ! Et maintenant, je suis seule ! Car s'ils ne font rien, je te tuerai, moi, créature du diable ! Si mes yeux se posent encore un instant sur toi, tu ne seras plus que cadavre.

....Pourquoi est-elle si méchante avec moi ?

C'est alors que je regarde mes mains. Les larmes brouillent ma vision, mais je vois qu'elles sont couvertes de sang. Du sang chaud, du sang épais, du sang sale... Mais du sang beau tout de même. Oh, oui, c'est beau, c'est beau, c'est si beau... j'en veux encore. ENCORE ! DU SANG ! ROUGE ! JE VEUX DU ROUGE !

Mes dents deviennent pointues et je déchire la gorge de ma mère avec haine. Je ris de sa tête horrifiée entre mes mains et je la balance avec mépris. Puis je suce le sang qui giclent de l'artère carotide. C'est bon, c'est délicieux, c'est du miel, c'est...

Je me réveille couverte de sueur et haletante. Qu'est-ce que c'était que cet horrible cauchemar ? J'ai comme une envie de vomir, et, en même temps, une certaine pulsion... C'est étrange. Je m'extirpe tant bien que mal du lit et je descends.

Ma mère est en bas, mon frère n'est pas encore réveillé. Sans que je sache pourquoi, sa vision m'horripile. Elle a l'air à bout. Je mange mes céréales avec frénésie. Je n'y trouve aucune consistance, j'ai envie d'autre chose... Nous sommes samedi. Pas de cours. Je ne suis pas normale, d'habitude ça me réjouit mais là, je vois ça comme un fait neutre.

- Je dois faire des courses, soupire ma mère.

- Je t'accompagnerai, si tu veux.

- C'est gentil, May. On part dans un quart d'heure, ça ira ?

- Ouais, t'inquiètes.

Elle lave avec frénésie le plan de travail. Un instant, je m'échappe, je crois voir un horrible petit monstre cramé recroquevillé dans un coin... Et l'instant d'après, mon frère est là.

- Qu'est-ce que tu veux ? me lance-t-il.

- Bonjour à toi aussi, le p'tit.

C'est curieux, il est très gentil d'habitude.

- Qu'est-ce que t'as, Mayi ? Pourquoi t'es méchante ?

- Tais-toi, t'avais qu'à pas m'énerver !

- Mais... mais j'ai rien fait !

Quelle mauvaise foi, alors. Il est incroyable.

**

Je contemple avec des yeux exorbités les tomates du rayon frais. Rouge... Rouge... Je me reprends. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

- May, va me chercher une bouteille de vin, tu veux ? Pas trop cher si possible.

Je fonce comme une flèche et je bave devant les bouteilles. C'est plus fort que moi. Je me précipite et j'en fracasse une. Elle s'écrase au sol dans une immense flaque pourpre.

Du rouge...

Je bave comme une idiote. Je ramasse un débris et je coupe le doigt. Du sang... C'est beau. Je suce la petite goutte rouge. C'est bon. C'est du nectar, c'est de l'ambroisie, c'est...

- May ? Mais qu'est-ce que tu as foutu ?

Maman. Flûte.

**

Je vais vous épargner cette épisode d'engueulades et de « mais quelle maladroite, elle sait à peine se tenir debout ». Le repas de midi est arrivé. C'était de la pizza. Rouge. Sauce. Tomate. Bon.

J'ai gratté toute la mozzarella et j'ai étalé la sauce sur mes mains. C'était rouge. C'était... parfait.

- Mais qu'est-ce que c'est que ces singeries, May ? hurle ma mère. Tu as douze ans, merde ! Qu'est-ce que tu fous ?

Je quitte la table en furie. Je déchire mon cahier de français dans ma chambre et je vide mon feutre rouge sur les pages. C'est beau. C'est parfait, c'est harmonieux. J'écris « Crevez, les morts, souffrez, les vivants » en super gros dessus et je les agrafe sur mon mur. Je ne sais plus dire ce que je fais après. SAAAAAAAAAAAANG. ROOOOOOUGE. BEEEEEEAAAAAAUUUU. Maintenant, il faut mourir.

C'est lui, l'être tout cramé, qui l'a dit. Mais pas de moi. Il me pointe de son doigt crasseux la cible d'Hadès, celle qui va mourir ce soir. Il fait de moi son messager. J'accepte si l'uniforme est rouge.

Il n'est plus que poussière, c'est un esprit noir qui rôde autour de moi, je vois ses deux yeux jaunes qui rentrent en moi, et nous ne faisons plus qu'un, nous sommes le flambeau mortifère qui s'en va procurer le repos éternel. Il me pousse, et désormais mes jambes lui obéissent. Il rentre dans la chambre de mon frère. Qui joue par terre. C'est une offense. Une offense, j'en suis sûre.

J'empoigne mon couteau. Je n'avais même pas remarqué que je l'avais pris quand j'ai quitté la table tout à l'heure. Je le serre fermement. Et avant qu'elle ait pu se retourner, je me jette sur la cible.

L'arme s'enfonce comme dans du beurre. Je triture en profondeur, ça gicle. C'est délicat, jusqu'au hurlement. Il hurle comme un fou, il pleure, il me griffe, il me hait, il... m'agace. Je sors le couteau de son ventre et je lui taillade les oreilles. Il n'est plus que sang, hurlements. Je lui lacère le visage, lui crève les yeux -plop ! que c'est agréable comme sensation!- et lui enfonce le couteau dans la cage thoracique. Il me bourre de coups de pieds et finit par tomber, mort. Je suce le sang qui s'écoule de ses plaies, je m'en étale partout sans remarquer ma mère derrière moi. Elle hurle encore plus fort, elle devient l'incarnation de la colère, elle pleure, elle me frappe le bras, fait tomber le couteau, me tire et m'attache à une chaise. Elle se rue sur le téléphone mais elle n'arriva pas à parler

ni à réaliser ce qu'il s'est passé. Je n'ai rien fait. C'est pas moi. Je suis une artiste incomprise. Tout est si beau et si rouge. Parfait et sale en même temps. Il y a des sirènes, des gens autour de moi. Je regarde fixement droit devant et je souris bêtement. J'ai accompli ma Joconde, mais en plus belle, avec du rouge.

**

Ici, c'est tout gris, c'est petit, ça manque de rouge. Étrangement, il y a un peu d'eau dans mes yeux. Je ne vois pas pourquoi. Peut-être l'absence de rouge. La grille claque. Je regarde toujours fixement, je souris, je ferme les paupières. J'entr'aperçois la forme noire quitter mon corps et je m'affale. Ma vie est finie, je suis une masse molle étendue sur un lit, mon âme est chez Hadès. Elle me contemple depuis les reflets rouges du Styx.

May la Furie, l'Erynie d'Hadès-Pluton, journal intime rouge, 30 septembre 2015. Qui lit mourra.

« Ce texte a été retrouvé dans la cellule de May Druelle, atteinte de folie meurtrière, internée à l'asile psychiatrique de Soulens. Récit étrange, témoin de sa foli

J'AVAIS PREVENU : QUI LIT MOURRA.

M.F-E


Wattpad Horror Tournament 2015 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant