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Faëris ou La Création du Monde

(5 pages)

La forêt dansait dans le vent au rythme mélodique des feuilles tremblantes sous le souffle d'Eole. Et comme la nuit tombait, les oiseaux se turent, les insectes stoppèrent leurs chants incessants et le Soleil lui-même s'arrêta de briller, pour se laisser bercer par le silence, et sombrer dans un profond sommeil.

Seul persistait le bourdonnement incessant des feuilles.

Il se réveilla près d'un lac, où se reflétait la voute céleste étoilée, comme une miriade d'yeux aveugles, ouverts vers l'infini d'un espace sombre et mort. Ses yeux s'ouvrirent comme une fleur, doucement, laissant apparaître deux pupilles blanches, comme deux coquilles d'oeufs, deux yeux aveugles, qui n'avaient jamais vu et ne verraient jamais. Deux yeux de Lune, deux yeux lumineux qui ne recevraient plus jamais la lumière d'un monde entennebré. L'enfant se releva, lentement, humant l'air, semblant s'en délecter, se noyer dans le parfum humide de la forêt. Il avança deux pas, sûrs, vers le Lac, et y trempa sa main, et d'ondes en ondes l'eau se rida. Il se rafraîchit son visage, jeune et juvénile, si innocent, et déjà affreusement marqué.

Quelque chose fendit le lac dans un souffle d'air silencieux, soulevant une légère brise contre son visage. Une embarcadère noire s'arracha à la Nuit, glissant doucement sur l'eau, comme une lance élancée déchirant l'air, de sa pointe fine et aiguisée.

L'enfant n'esquissa aucun mouvement de recul. Aucune peur ne se lisait sur son visage. Aucune émotion. Rien qu'un masque cireux, stoïque figé comme un second astre.

La sombre gondole s'arrêta devant lui, et son ténébreux capitaine en descendit, enveloppé d'une immense tunique noire, flottant au gré des vents, semblant danser d'elle-même une ronde infernale, presque grotesque. Il releva son capuchon au dessus de sa tête, révélant un crâne lisse, brillants aux yeux des étoiles. Et de ses propres yeux, rougis par les jours, assombris par la nuit, vieillis par les temps, il fixa l'enfant aveugle, qui soutint son regard de ses pupilles vides, comme deux éclats cristallins d'opales blanchâtres.

"Ekem' teneam allameo regnegat, fit l'encapuchonné, d'une voix sombre et profonde, que l'on aurait crû entendre la Nuit elle même parler.

-Arass'maneass' Charo, répondit l'Enfant. Et il sortit une pièce de sa tunique pourpre, rayonnante à la nuit. L'Encapuchonné se saisit de la pièce comme un vautour et dans un même mouvement rapace l'avala. Et sans mot dire il retourna à l'intérieur de sa barque et rabattit son capuchon. L'Enfant monta à sa suite, sans hésitation, sans bruit.

La Gondole épousa le courant comme deux amants éperdus, s'arrachant entre eux un amour fougueux et silencieux. Et l'embarcadère pénétra le lac dans une seule et même poussée, un orgasme muet d'une lenteur passionnée.

Et l'alchimique liaison de deux êtres glissant l'un sur l'autre dans un même mouvement sembla durer des heures, et les deux passagers ne furent plus que témoins sans voix d'un amour d'eau et de beauté.

Puis ils arrivèrent au bout du Monde. Devant eux ne s'étendait qu'une immense gorge sans fond où étaient avalés eau et lumières en d'immenses gorgées, et dont les dents invisibles semblaient fendre l'air à la recherche d'une nouvelle nourriture, fraîche.

Et la Gondole se figea là, semblant observer le spectacle d'un vide sans promesse et sans fond, sans espoir et sans vie. L'encapuchonné se saisit de l'Enfant, qu'il souleva dans les airs à l'aide de ses deux mains, et le suspendit au dessus de la fin des horizons. Le jeune aveugle ne se débattit nullement, ses petits pieds pendant en l'air au dessus d'un gouffre éternel.

Wattpad Horror Tournament 2015 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant