Matt Garrett
Il fait froid tout à coup.
Ça paraît bidon, seulement c'est réel. Il faut vraiment être malade pour balancer son passé à la gueule d'un mec qu'on ne connaît pas. On parle bien d'une nuit, pas de mois, ni d'années de fréquentation. Mais elle, elle y est allée franco.
Mon instinct ne me trompait pas. Elle n'a rien de petit, ni de fragile. Elle est forte. Et le pire c'est que depuis qu'elle a vu ma blessure, son regard sur moi n'a pas changé. À aucun moment elle ne m'a regardé comme un chien battu, ni comme quelqu'un de faible ou d'insignifiant.
Au contraire, je me suis senti fort.
Comme si je pouvais sortir de mon isolement, lui parler et lui faire confiance. Pourtant je sais que c'est impossible. Pas après l'énergie que j'ai déployée pour me protéger. C'est dingue mais j'ai cru que je n'allais plus m'arrêter et lui livrer tous mes secrets alors que je la connais à peine. J'en avais envie. Totalement irréfléchi. Au bout d'une longue réflexion, j'ai songé à ce que serait ma vie si j'avais quelqu'un avec qui partager ça. Cet aveu est étrange et déstabilisant pour moi parce qu'il remet en cause tout ce que je suis depuis toujours.
Et si c'était mieux de ne plus être seul ?
Je me souviens de cette course de l'extrême, opérée avec Verdi et mes frères sur la banquise en mouvement qui ne faisait plus, à certains endroits, que un à trois mètres d'épaisseur. Le vent s'infiltrait sous ma cagoule et brûlait mon visage. Je ne voyais pas comment il était possible de souffrir autant du froid et de continuer à respirer en même temps. Mémorable. Et bien, je donnerais tout pour revivre ce moment plutôt que celui-ci.
Et maintenant, que dois-je faire ?
Un musicien doit faire de la musique, un peintre doit faire de la peinture, un poète doit faire de la poésie, et un Garrett ne peut faire que du Garrett. C'est-à-dire chasser, fixer, déborder.
J'énonce mes règles habituelles :
1.Cibler ce que je veux.
2.Garder ce que j'ai.
3.Récupérer ce que j'ai perdu et sortir.
Les réponses sont trop évidentes :
1.Autant ne pas se mentir, c'est elle que je veux.
2.Garder mes secrets pour moi.
3.Je ne peux pas récupérer ce qu'elle m'a pris.
Donc, je ne peux pas sortir.
Voilà le problème, je ne peux pas tout avoir. La seule façon de sortir serait de la détruire. Totalement. La seule façon de la garder serait de renoncer à mes secrets. Et là, on parle de l'hypothèse où elle ne s'enfuirait pas en hurlant. Ce qui, de toute manière est exclu. J'ai toujours été un modèle de vie sociale quasiment vide, un proactif pour qui seul le boulot compte, peu de loisirs, pas d'amis, ne se souciant que très peu des enjeux de la séduction. Ce n'est donc pas maintenant que je vais me mettre à nu devant une femme.
Autre aberration : je paie une fortune pour cette suite, et je prends mon petit déjeuner seul comme un con sur la terrasse en attendant que ça redescende après qu'elle s'est réfugiée dans la chambre pour se calmer de son côté. Je sens que cette fille va me taillader si je ne fais pas attention. Il y a tellement de fêlures et de crevasses dans lesquelles elle peut s'infiltrer.
Je le sens venir.
Je sais aussi que je devrais garder mes distances. Je suis doué pour mettre de la distance avec les gens mais depuis sa découverte, j'ai l'impression qu'on est pareils, tous les deux. Elle me comprend. Et ça, c'est beaucooooup trop puissant pour que je puisse m'en passer.
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Effet de Vague
RomanceEffet de Vague met en scène un industriel pharmaceutique américain au passé sombre et bien enterré et une jeune avocate pénaliste française de vingt ans, sortie major avec trois ans d'avance de sa promotion dont le rêve est de travailler à la Cour P...