Ces derniers mois, son père s'était souvent plaint d'être fatigué. Ce n'était pas dans ses habitudes. C'était un homme à l'humeur enjouée, toujours prêt à rire et à partager un bon moment avec ceux qu'il aimait. Sa femme lui avait dit qu'il eût dû demander au médecin une prise de sang pour vérifier que tout allait bien. Mais il ne le fit pas, remettant à plus tard et disant que ça allait passer. C'était sans doute le stress du bureau. Son équipe et lui travaillaient sur un gros devis de chantier, ils étaient tous sous pression. Ça irait mieux après la signature. Un matin dans sa salle de bain, tandis qu'il se rasait, il eut un malaise. La mère de Marie entendit un boum, n'eut aucune réponse quand elle demanda « ça va chéri ? » et quand elle ouvrit la porte de la salle de bain, elle vit son mari étendu au sol, inconscient. Elle poussa un premier cri, « Michel ! », puis un second à l'adresse de Marie : « Appelle les pompiers, ton père s'est évanoui ! ».
Marie était en train de prendre son petit-déjeuner. Elle reposa précipitamment son bol bleu où fumait son thé à la bergamote. Tous les détails de cet instant lui sautèrent à la figure : les gouttes qui s'échappèrent et vinrent tacher le coussin de sa chaise qu'elle renversa en se levant, le bruit que fit la chaise en tombant sur le carrelage, le liquide qui tanguait dans son bol, sa course vers le téléphone, les battements affolés de son propre cœur, le couloir peu éclairé, le téléphone blanc qui trônait parmi des papiers et des factures, ses touches rétroéclairées. Saisir le téléphone et composer le... Le combien ?? C'était quoi déjà le numéro des pompiers ? 17 ou 18 ? Marie essaya de se calmer. Police, c'est avec un L, pompier avec un M, le L c'est avant le M, donc 17 c'est la police et 18 c'est les pompiers. Elle composa les deux chiffres sur le clavier. Comme l'y invita une voix préenregistrée, dès qu'elle eut un interlocuteur en ligne, elle déclina son nom, son adresse, avant de dire :
— C'est mon père, il a fait un malaise, venez vite, je vous en prie !
Les pompiers arrivèrent dans les minutes qui suivirent. Ils trouvèrent le père de Marie assis sur le sol de la salle de bains. Sous les deux gifles de son épouse, il avait repris connaissance. Néanmoins, après un bref interrogatoire où fut notamment évoquée cette fatigue persistante depuis des mois, les pompiers décidèrent de le conduire aux urgences de l'hôpital.
Marie vit son père en pyjama bleu marine à rayures rouges et en chaussons écossais, hissé sur le brancard. Elle entendit, se détachant de la scène, la voix de sa mère qui lui disait :
— Je pars avec ton père dans le camion des pompiers. Occupe-toi de ton frère. Je t'appelle dès que je peux, ma chérie.
Et tout le monde, pompiers, son père, sa mère, sortit. La porte de l'appartement resta ouverte. Ouverte sur un nouveau vide, sur une nouvelle sortie de scène. Marie alla la fermer. Puis elle regarda par la fenêtre s'éloigner le rouge du camion et le bleu de son gyrophare. Quand ils furent hors de vue, elle se retourna, balaya du regard l'appartement déserté et se sentit bien seule. Elle attendit que Jules se réveillât. Il n'avait pas cours le mercredi matin. Elle, si. Aussi pensa-t-elle à prévenir le lycée que son père avait été transporté aux Urgences et qu'elle devait en conséquence s'occuper de son petit frère. A ce dernier qui lui demanda à son réveil pourquoi elle était là et pas Maman, elle répondit que Papa et Maman étaient partis chez le médecin.
Et la longue attente commença. Sa mère lui envoya bien quelques textos : pour lui indiquer que préparer pour le déjeuner de son frère ou pour vérifier que tout se passait bien ; mais sans donner de nouvelles de son père. Marie lui en demanda, sa mère répondit : « on attend les résultats d'analyse ».
Quand vers vingt heures, Marie entendit la clé dans la serrure de l'appartement et vint aux devants de sa mère, elle vit immédiatement que celle-ci avait les yeux rougis. Elle avait pleuré.
— Maman, qu'est-ce qui se passe ? Où est Papa ? Qu'ont dit les médecins ?
— Où est Jules ? s'enquit d'abord sa mère, qui ne voulait pas que son fils entende.
— Devant la télé.
— Marie, les premiers résultats d'analyse ne sont pas bons. Ils ont gardé ton père en observation. Ils vont lui faire plus d'analyses. On devrait en savoir plus demain.
— Pas bons ? Ça veut dire quoi ? Il a quoi ? demanda-t-elle gagnée par la panique.
— Je ne sais pas. Les médecins m'ont dit que les résultats n'étaient pas bons et quand je leur ai demandé s'il y avait de quoi s'inquiéter, ils m'ont répondu oui.
— Il a quelque chose de grave ?
— Nous verrons, Marie. Nous en saurons plus demain. Maintenant, tu vas aller faire tes devoirs, moi je vais aller voir ton frère et lui expliquer que son Papa est à l'hôpital pour des examens. Et en attendant les résultats, on va rester confiantes. D'accord ma chérie ? lui demanda sa mère en lui déposant un baiser sur le front.
Elle fit ce que sa mère voulait : elle fit ses devoirs et afficha une mine sereine au dîner. Cependant, en son for intérieur, son inquiétude vint s'ajouter comme une seconde enclume à ses obsessions. La crainte qu'elle avait pour la santé de son père ne la détourna pas de la pensée d'Angel. Non, c'était simplement une autre pensée lancinante qui s'ajoutait à la première. Désormais deux mots monopolisaient son esprit : Angel et Papa.
Le lendemain au lycée, elle attendit toute la journée les nouvelles que sa mère s'était engagée à lui donner. Mais quand sonna la fin des cours, elle n'en avait reçu encore aucune. Sachant son père pour quelques jours en observation à l'hôpital voisin de son lycée, elle décida de lui rendre visite. Sur place, elle se fit indiquer le numéro de chambre par l'hôtesse d'accueil. Elle prit l'ascenseur, en priant pour que lui fût annoncé que son père allait bien et n'avait rien de sérieux. Mais quand elle pénétra dans la chambre et vit l'expression défaite de ses parents, elle comprit immédiatement que ses prières ne seraient pas exaucées. Elle demanda, presque en criant :
— Qu'est-ce qu'il a ?
Sa mère, assise au bord du lit où reposait son père, lui tendit la main pour l'inviter à venir près d'elle. Quand Marie fut assise, sans lâcher sa main et ni celle de son mari, elle dit dans un sanglot :
— Ton papa a une leucémie.
Il y a des mots qui écrivent un avant, un après. Ceux-là en furent. Ils ouvrirent une de ces parenthèses de temps que l'on voudrait pouvoir fuir et dans laquelle, pourtant, on se sent irrémédiablement happé et présent.
Marie put juste émettre un « Non ! » désespéré.
4
VOUS LISEZ
Angel et Marie - T. 1 - Prix du meilleur roman indé 2017, catégorie romance
Paranormal"Qui est-il ?" se demande Marie à propos de celui qui vient attendre la reine des pestes au lycée. Une chose est sûre : elle est profondément attirée par cet étrange garçon à la beauté du diable et à la douceur d'un ange. Mais plus elle se rapp...