En effet Sophie, aidée en général de Sébastien, ne ménageait pas ses efforts. Tous deux ne cessaient de l'inviter à sortir, tantôt pour une balade, tantôt pour un cinéma ou un musée. Tout était prétexte pour la faire sortir de chez elle et de son inquiétante léthargie. Ils mettaient tout en œuvre pour tenter de dissiper l'étrange mélancolie qui s'était emparée de leur amie. Ils faisaient montre d'une infinie patience et ne se laissaient pas décourager par le peu de résultats obtenus. Ils revenaient à la charge, laissant Marie le moins souvent possible seule en dehors de ses cours. Au bout de plusieurs semaines, ils formaient un trio quasi-quotidien. Au café, ils étaient d'ailleurs salués ainsi par le patron : « Salut le trio ! »
Ils s'évertuaient à la faire rire et, à force de pitreries complices, ils étaient plutôt efficaces. Sans provoquer de francs éclats de rire chez elle, ils lui arrachaient des sourires sincèrement amusés. Véritablement, ils la distrayaient. Mais voilà, ce n'était que distraction. Dès que Marie se retrouvait seule, plus rien ne la détournait de la spirale qui l'aspirait vers le fond. Il lui semblait que, une à une, lâchaient les amarres qui la retenaient à la vie. Elle se sentait flotter, errer comme une âme égarée sur le Styx. Pauvre ombre décharnée, désincarnée d'elle-même, elle ne tenait plus au fil de la vie que par la seule mécanique de son corps. La nuit, seule la vivacité de sa souffrance témoignait qu'elle était encore bien vivante.
Sébastien, lors de sa soirée d'anniversaire, n'avait pas caché le petit faible qu'il avait pour Marie. Mais la jeune femme qui l'avait attiré, espiègle, pétillante sous une apparence réservée, semblait avoir disparu au profit d'une sorte de spectre insaisissable. Son affection pour elle restait intacte mais elle s'était muée en un attachement teinté de pitié. Et cette dernière ne fait pas bon ménage avec le sentiment amoureux. L'étiolement de Marie eut raison de l'engouement de Sébastien.
En revanche, entre Sophie et ce dernier, les choses changèrent subrepticement. Ils avaient toujours été bon copains et s'étaient toujours considérés comme tel, presque comme des potes de régiment, toujours prompts à rire ensemble ou à faire quelque blague potache. Le goût commun de la plaisanterie fondait leur duo. Ils avaient souvent les mêmes inspirations, les mêmes idées, au même moment. Ainsi un soir, au café, sans s'être auparavant concertés, ils avaient tous les deux amené un nez rouge de clown pour amuser Marie. Sébastien s'était baissé sous la table et quand il s'était redressé, il arborait son nez rouge comme si de rien n'était.
— Je le crois pas ! s'était exclamée Sophie en se baissant à son tour.
Et elle s'était relevée, elle aussi, avec un nez de clown. Ils étaient alors tous les trois partis dans un grand éclat de rire. Une fois calmés, Sophie avait expliqué :
— C'est trop drôle ! On a eu la même idée, sans en parler avant !
— On est tous les deux aussi tordus l'un que l'autre, c'est pour ça ! avait ajouté Sébastien, visiblement joyeux de cette complicité.
— Vous faites une sacrée paire ! avait dit Marie.
Cette dernière s'aperçut de la satisfaction que ses paroles produisirent sur Sophie, dont le visage s'illumina. Marie se dit qu'elle ignorait si son amie en avait conscience, mais manifestement ses sentiments amicaux pour Sébastien prenaient la tournure d'un intérêt un peu plus particularisé.
Les jours suivants confirmèrent l'intuition de Marie. L'entente de Sophie et Sébastien dépassaient les bornes de la simple complicité amicale. Ils formaient un duo tellement harmonieux, en permanence sur la même longueur d'onde, qu'ils ressemblaient plus à un couple qu'à un tandem de copains. Marie en fut partagée. D'un côté, elle se réjouissait pour Sophie que celle-ci tombât amoureuse d'un garçon qui lui convenait parfaitement et qui a priori, lui, ne risquait pas de la mener sur les sentiers de la perdition. Elle éprouvait aussi un certain soulagement à voir Sébastien tourner vers une autre des désirs auxquels elle ne pouvait répondre. Mais d'un autre côté, être ainsi reléguée au second plan ravivait en elle le sentiment d'abandon et de laisser-tomber engendré par le départ d'Angel. En outre le rapprochement entre Sophie et Sébastien, chaque jour plus évident, lui renvoyait en miroir sa douloureuse solitude.
Aussi Marie commença-t-elle à écourter les moments passés avec eux. De plus en plus fréquemment, elle s'éclipsa, les laissant seuls.
— Je vais vous laisser, je suis fatiguée, disait-elle.
Au début, ils protestèrent. « Mais non, reste encore un peu » disaient-ils. Puis, soit qu'ils aient su que rien ne la ferait changer d'avis, soit qu'ils prissent un plaisir croissant à se retrouver en tête-à-tête, ils finirent par ne plus rien dire.
Et un soir, quand Marie les rejoignit au café, elle les trouva qui l'attendaient, assis main dans la main. Leur relation avait donc franchi une étape. De ce jour, ils se virent moins souvent tous les trois. Marie voulait les laisser profiter de leur nouveau lien amoureux, qui par ailleurs offrait sans doute un spectacle plaisant pour la terre entière, sauf pour elle. Et eux, tout naturellement, avaient envie d'une certaine intimité pour écrin à leur jeune amour.
Ainsi, plus rien ne vint préserver Marie du tourbillon douloureux qui l'engloutissait. Une vague noire de souffrance la submergea, la laissant exsangue, disloquée. Elle semblait une pauvre créature en sursis, ayant déjà un pied de l'autre côté de la vie.
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Angel et Marie - T. 1 - Prix du meilleur roman indé 2017, catégorie romance
Paranormalne"Qui est-il ?" se demande Marie à propos de celui qui vient attendre la reine des pestes au lycée. Une chose est sûre : elle est profondément attirée par cet étrange garçon à la beauté du diable et à la douceur d'un ange. Mais plus elle se rapp...