Les cours reprirent. Marie retourna au lycée. Elle fit de nouveau toutes les choses et les gestes de la vie quotidienne. Elle se leva, se lava, s'habilla, prit son petit-déjeuner, monta dans le bus, en descendit, s'assit en cours près de Sophie, déjeuna avec Sophie, se rassit en cours, reprit le bus, fit ses devoirs, dîna, se coucha, dormit et le lendemain, recommença. Mais nuit et jour, un seul nom l'habitait : Angel. Quoique sa bouche prononçât comme parole, quoique son corps fît comme activité, son esprit était possédé par une seule pensée : Angel. Quels que fussent ses échanges avec d'autres, Sophie, son petit frère, ses parents, ses profs, une seule personne était présente dans sa tête : Angel. Une seule image s'inscrivait en filigrane de chaque instant de sa vie : celle d'Angel. Ses rêves ne se formaient que pour mettre en scène un seul être : Angel.
Le manque qu'elle avait de lui était à la hauteur de son obsession. Marie, la première, ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Jamais elle n'avait éprouvé une telle chose. Petite, quand elle était partie en colonie, ses parents lui avaient bien manqué, mais pas de cette façon qui la laissait exsangue, à la fois complètement emplie d'un nom et vidée par une absence insoutenable. Enfant, quand quelqu'un avait pu lui manquer, cela avait été à certains moments, parfois douloureux, comme lors du coucher, mais ce n'était pas sans répit. Là, le manque d'Angel était permanent et aigu. Tel un aimant puissant ou un ogre vorace, la pensée d'Angel attirait et engloutissait toute son énergie, toute son attention. Sans lui, l'univers entier était privé d'intérêt, la vie, de saveur.
Elle en perdit sa gaîté habituelle et sa gourmandise bien connue. Elle n'avait plus goût à rien et rien ne la tentait.
Sophie s'en inquiéta d'abord. Elle lui disait :
— Marie, arrête de penser à cet Angel. Je te l'ai dit mille fois, c'est pas un type pour toi. T'as vu le genre de nanas qu'il fréquentait ?!
Ou encore :
— Il t'a embrassée ? Non. Pourtant, s'il avait voulu, il en aurait eu l'occasion. S'il l'a pas fait, c'est qu'il en avait pas envie. Et s'il en a pas envie, tu perds ton temps. Donc tu l'oublies !
Mais bientôt, chez Sophie, l'inquiétude céda place à l'énervement.
— Marie, secoue-toi ! C'est pas possible ! Ça fait un mois qu'Angel est parti et toi, t'es toujours comme un poisson hors de son bocal ! Tu t'es vue ? T'as perdu combien de kilos ? Tu fais peur à voir ! Et puis, bonjour la compagnie : t'es gaie comme un croque-mort, j'ai l'impression de parler à une tombe. J'en ai franchement marre. C'est vrai, quoi, t'es chiante à la fin ! Tu nous fais chier avec ton Angel !
Mais ni l'exaspération croissante de Sophie, ni les remarques de sa mère à table la priant de manger un peu, ni les pitreries de son petit frère qui essayait de la distraire, ne lui rendaient sa joie de vivre et son appétit. Marie dépérissait, lentement mais plus sûrement que si on l'eût privée d'eau. Et la seule source à laquelle elle eût pu s'abreuver, c'était Angel. Source dont les mystères n'étaient pas pour rien dans la ronde obsédante de ses pensées. Trop de questions sans réponses. Trop d'interrogations béantes qu'aucune hypothèse de sens commun ne pouvait suturer.
Qui était Angel ? Ou plutôt qu'était-il ? Un diable de séduction, un ange de douceur ? Un tueur, un sauveur ? Comment avait-il pu entendre ou deviner ses conversations avec Sophie, connaître la teneur de ses SMS ? Comment avait-il pu surgir à deux reprises au moment même où elle était en danger ? Pourquoi l'avait-il sauvée, elle, et n'avait-il pas sauvé Sandra ? Pourquoi fréquentait-il des filles dont il avait dit qu'il ne les aimait pas et qu'elles n'étaient pas aimables ? D'où lui venait cette force surhumaine qu'elle l'avait vu déployer ? Comment avait-il pu apparaître et disparaître chez elle comme un... Comme un quoi ? Comment avait-il généré cette indescriptible lumière qu'elle avait aperçue dans sa fuite ? « La vérité de leur âme », avait-il dit. Qui était-il pour prononcer de telles paroles ? Un illuminé ? Et pourquoi avait-elle eu plusieurs fois la sensation qu'il lui disait des choses alors même qu'il ne lui parlait pas, la regardait seulement, ou même était déjà parti ?
Tout cela dépassait l'entendement. Elle avait le sentiment d'y perdre la raison. Même quand elle s'en tenait à ce qu'il lui avait dit, « chargé de mission », et qu'elle en faisait une sorte d'agent secret, cela ne résolvait pas tout. Bien des points restaient sans explication sensée. Les hypothèses logiques de Marie rencontraient une butée. Son intelligence se cognait aux murs d'une situation qui ne répondait pas aux critères de la normalité.
Elle se sentait devenir folle.
Pourtant survint un événement qui eût pu détourner son attention.
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Angel et Marie - T. 1 - Prix du meilleur roman indé 2017, catégorie romance
Paranormal"Qui est-il ?" se demande Marie à propos de celui qui vient attendre la reine des pestes au lycée. Une chose est sûre : elle est profondément attirée par cet étrange garçon à la beauté du diable et à la douceur d'un ange. Mais plus elle se rapp...