Et puis aux vacances de février, ô surprise ! Elle était au café à Suresnes en train de tuer le temps avec Sophie quand elle vit l'incomparable silhouette d'Angel passer la porte et s'attabler un peu plus loin en compagnie de deux autres garçons et de deux filles. Marie connaissait l'une d'elles : c'était une de ses voisines qui, comme on dit, avait mal tourné. Cette fille, en plus d'être vulgaire et grossière, avait la réputation d'être dangereuse, toujours très agressive et très vite violente. Marie l'avait vue un jour agonir d'injures un pauvre commerçant qui lui demandait d'ouvrir son sac. Jusqu'à cet incident elle n'avait jamais imaginé qu'une fille pût s'exprimer avec une telle véhémence et avec des mots si orduriers. Elle savait que c'était le genre de fille qu'il valait mieux éviter de regarder avec insistance. Aussi se détourna-t-elle du groupe des nouveaux venus et leur fit dos. Mais cela n'empêcha pas ses mains de se mettre à trembler et sa cuillère de tinter dans sa tasse à café. Ce qui n'échappa pas à Sophie :
— C'est l'arrivée de ta voisine qui te met dans un tel état ou c'est celle du beau brun ? Oh mais... regarde ! Je le reconnais : c'est le mec qui venait attendre Elodie au lycée !
— Oui j'ai vu, dit Marie.
— Ah alors c'est lui qui te trouble comme ça ! Je m'en doutais ! Je m'en étais bien aperçue au lycée !
En réalité Sophie ne s'était aperçue de rien et ignorait tout des émois provoqués par Angel sur Marie, car celle-ci ne lui en avait rien dit. Non par manque de confiance en son amie d'enfance, mais parce qu'elle-même doutait du bien-fondé de ses impressions. Ces regards qu'elle avait cru lui être adressés, n'étaient-ils pas un pur fruit de son imagination ?
— En tout cas, Mr Beau Brun, il les collectionne ! Entre Miss Pétasse et Miss Vulgos, il fait fort ! remarqua Sophie.
Comme Marie était de dos et ne les voyait pas, elle demanda :
— Tu crois que Sandra sort avec lui ?
— Ça y ressemble ! Si c'est pas encore fait, ça devrait pas tarder, elle fait tout pour. Elle arrête pas de se coller à lui.
« C'est encore bien la preuve, se dit Marie, qu'il n'y avait aucune chance pour qu'un garçon comme lui remarque une fille comme moi. Il ne risque pas de s'attarder sur une fille qui en dix-sept ans d'existence a réussi le formidable exploit de se faire embrasser une seule fois par un garçon, en 5ème, le dernier soir de la colo, après un mois d'amours transies et platoniques ! »
Depuis ce premier et unique baiser, elle n'avait pas connu d'autres amourettes. Il faut dire qu'elle était difficile : elle trouvait la plupart des garçons « limités ». Elle s'intéressait à plein de choses : la musique, la mode bien sûr, mais aussi la peinture, la photo, la littérature, le cinéma, le théâtre, l'écologie, l'histoire, l'actualité... En revanche parler foot ou sport n'était pas son truc. Cela rendait rares les possibilités de conversation à son goût. Et les quelques fois où elle avait trouvé un garçon avec lequel échanger sur ses sujets de prédilection, son aspect boutonneux ou premier de classe n'avait en rien éveillé sa libido. Bref, elle attendait le mouton à cinq pattes ou le Prince Charmant.
Elle était plongée dans ses pensées, n'écoutant même plus les commentaires de Sophie, quand elle sentit cette dernière lui donner un coup de coude. Le groupe de Beau Brun passait devant elles pour sortir du café. Sandra, apercevant Marie, leur jeta un « salut » peu amène sans s'arrêter et sans desserrer les dents. Beau Brun, tout en tenant la porte pour laisser sortir Sandra et les autres, planta ses yeux dans ceux de Marie et dit distinctement dans un doux sourire :
— Bonjour Marie, bonjour Sophie.
Il connaissait leur prénom ! Le temps qu'elles se remissent de leur étonnement et qu'elles balbutiassent à leur tour un « salut », Beau Brun avait disparu, appelé par Sandra : « Tu viens, Angel ? »
Ainsi il s'appelait Angel, pensa Marie. Drôle de prénom pour un garçon à la beauté quasi diabolique. En même temps, il y avait en lui une douceur presque... angélique.
— Eh oh Marie ! Come back ! On redescend !
Sophie claquait des doigts devant les yeux de Marie. Celle-ci souriait béatement, le menton appuyé dans ses mains, les coudes sur la table. Elle se redressa :
— Oui, quoi ?
— Tu lui avais déjà parlé à Beau Brun ? s'enquit Sophie d'un ton suspicieux.
— Non, jamais.
— Alors comment il connaît nos prénoms ?
— Je sais pas. C'est Sandra qui a dû lui dire.
— Sandra, ta voisine ? Mais elle ne connaît pas mon prénom !
— Alors peut-être Elodie...
— Elodie ? Je vois mal pourquoi ou quel intérêt elle aurait eu à parler de nous !
Sauf si Angel lui avait demandé qui elles étaient, se dit Marie.
— T'es sûre que tu lui as jamais parlé ? poursuivit Sophie.
Marie fit non de la tête.
— C'était quoi alors ce truc entre vous ? On aurait dit que vous étiez hypnotisés, aimantés ! Dans un film, il y aurait eu à ce moment-là un ralenti, avec le monde autour des deux acteurs qui serait devenu flou ! Tu lui as jamais adressé la parole ?
— Non, je t'assure, mais...
— Mais quoi ?
— Non, rien.
— Vas-y, dis !
— Je me fais sans doute des idées, mais plusieurs fois quand il venait attendre Elodie, j'avais l'impression qu'il me regardait intensé-ment comme pour me dire quelque chose...
— Alors là, ça m'étonnerait, tu rêves, t'es pas son style ! s'exclama Sophie abruptement.
Marie ne répondit rien. Elle plongea le nez dans sa tasse de café, surprise par la vive réaction de son amie. Elle se fût davantage attendue à des encouragements de sa part, à des paroles d'espoir du style « Mais oui, ça se trouve, il t'a remarquée, tu lui plais ! Ce sera Marie et Angel, la belle rousse et le beau brun ! » Mais pas à cette remarque acerbe et définitive ! Pourtant d'ordinaire, Sophie avait toujours le mot pour la complimenter et la valoriser. C'était elle qui n'avait de cesse de lui répéter : « Marie, défais tes cheveux, oublie ton éternel chignon, tu as les plus beaux cheveux du monde ! » Et c'était vrai : quand Marie libérait sa chevelure roux foncé, elle se retrouvait auréolée d'une crinière de longues boucles, ondulant comme des flammes et lançant des ors cuivrés, auburn, dorés. Marie détestait ses cheveux, de même qu'elle abhorrait sa peau diaphane parsemée de taches de rousseur et ses yeux aux éclats émeraude. Elle eût voulu avoir le teint mat, être blonde aux yeux bleus ou brune aux yeux noirs. Sûrement pas ressembler à un personnage mal dessiné de livres pour enfants !
Mais ce qu'elle retint aussi des paroles de Sophie, ce fut qu'Angel et elle avaient l'air « hypnotisés, aimantés ». Elle n'avait donc pas rêvé : il se passait bien quelque chose entre eux quand leurs regards se croisaient ! C'était fou ! C'était vrai qu'elle se sentait aimantée par ce garçon. Même quelques minutes plus tôt quand elle lui tournait le dos, elle sentait sa présence qui, tel un courant irrépressible, l'attirait vers lui et eût pu la pousser à se retourner vers lui contre son gré.
Elle dit à Sophie qu'elle rentrait chez elle. Elle avait envie d'être seule pour pouvoir penser à Angel et à ces découvertes. Sophie s'étonna :
— Déjà ? Tu boudes parce que je t'ai dit que t'étais pas son style ?
— Mais non je ne boude pas, j'ai juste envie de rentrer.
Arrivée chez elle, Marie répondit à peine à sa mère qui lui demandait si ça allait, ferma précipitamment la porte au nez de son petit frère qui essayait de se glisser dans sa chambre, et se jeta sur son lit. Allongée sur le dos, les bras repliés sous sa tête, les yeux mi-clos, elle s'adonna à ses rêveries. Elle faisait surgir la belle silhouette d'Angel tel qu'il lui était apparu la première fois, elle passait en revue les différentes postures dans lesquelles elle l'avait vu, elle faisait défiler les regards qu'il lui avait adressés. Elle en était troublée. Rien que de penser à lui, une onde inconnue parcourait sa peau, une exquise tension la saisissait. Elle murmurait son prénom : Angel..., et le faisait rouler dans sa bouche comme une gourmandise que l'on veut savourer lentement.
VOUS LISEZ
Angel et Marie - T. 1 - Prix du meilleur roman indé 2017, catégorie romance
Paranormal"Qui est-il ?" se demande Marie à propos de celui qui vient attendre la reine des pestes au lycée. Une chose est sûre : elle est profondément attirée par cet étrange garçon à la beauté du diable et à la douceur d'un ange. Mais plus elle se rapp...