CHAPITRE 3. Espace tree-dimensionnel

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PREMIÈRE PARTIE : OUVRIR L'ESPACE

CHAPITRE 3. Espace tree-dimensionnel


Il y a 65 millions d'années, nous dit-on, la chute d'un météorite décima les dinosaures. Dès lors, les petits mammifères qui échappèrent à l'extinction purent sortir de leur terrier et, à leur tour, se mettre à évoluer. Aujourd'hui ― mais pour combien de temps encore? ―, ce sont des éléphants, des baleines, des kangourous, etc. Le singe est un mammifère particulièrement bien adapté à l'espace tridimensionnel de l'arbre. Or, l'être humain aussi est un mammifère. Ce n'est pas un hasard s'il ressemble physiquement au singe. C'est que l'être humain, nous assure-t-on, n'est qu'un singe descendu de son arbre. Mais l'est-il vraiment? En est-il vraiment descendu?

De toute évidence, nous n'avons pas encore quitté notre espace tree-dimensionnel : nous vivons, autrement dit, d'une certaine manière, toujours dans l'arbre (in the tree). Et nous y voyons, par conséquent, notre monde avec des yeux de primate : chaque chose semble se jeter devant nous comme un fruit à saisir (ce que, nous, nous appelons aujourd'hui un ob-jet). Aussi nous attachons-nous, nous aussi, à tout ce que nous pouvons voir, toucher et saisir, tout de suite. Et, nous aussi, à notre manière, nous marquons nos territoires : en aspergeant des feuilles d'encre.

« Nous avons beau le déplorer, le langage écrit, lorsqu'il est apparu, n'était pas la création de poètes mais de comptables. Il est né pour des raisons économiques, pour conserver la trace de certaines choses : possessions, accords commerciaux, conventions d'achat et de vente ». (Alberto Manguel)

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L'avons-nous déjà remarqué? ― parcourir des yeux ces mots imprimés sur cette page, c'est aussi, en même temps, parcourir des yeux l'espace v_i_d_e ― la page b_l_a_n_c_h_e ― derrière ces mots. Entre les mots et les lignes de ce texte, voire en marge du texte : subsiste ce v_i_d_e qui ne se laisse habituellement pas remarquer ― ne se laisse, en tout cas, jamais entendre. Car, bien entendu, nous ne faisons, en lisant, la plupart du temps, que nous « remplir la tête » de ce qui est écrit noir sur b_l_a_n_c. Le philosophe allemand Martin Heidegger dit pourtant quelque part : « Dans le verbe "leeren" (vider) parle le "Lesen" (lire) ». Lesen (lire), cela se disait en grec : anagignôskein, mais aussi : legein. D'où le logos, la logique et les logiciels d'aujourd'hui. Des logiciels en tous genres sont, aujourd'hui, en train de prendre la place de ce v_i_d_e (nihilisme) que nos yeux, éblouis par le gigantesque spectacle qu'est devenue notre société, se refusent à voir. Partout les MACHINES sont en train d'envahir notre espace : répondeurs téléphoniques, guichets automatiques, caméras de surveillance, etc. Or, selon la représentation courante, nos corps sont dans cet espace. Aussi l'espace tree-dimensionnel dans lequel se réalise le progrès technique envahit-il nos corps tout aussi bien. Stelarc s'est fait greffer une oreille sur le bras. Nos animaux de compagnie transportent des puces électroniques (transpondeurs) sous leur peau. À quand la production de puces pour nouveau-né, et la gestion entièrement informatisée du « parc humain »?

« Le médium est le message » (Marshall McLuhan). Il façonne et détermine les lois de notre pensée, c'est-à-dire notre logique. « Sans le legein de cette Logique, écrit Heidegger dans Qu'appelle-t-on penser? (p.105), il faudrait que l'homme d'aujourd'hui se passe de sa motocyclette. Il n'y aurait donc aucun avion, aucune turbine, aucune Commission de l'Énergie atomique. » Évidemment, il n'est pas question pour nous d'abandonner toutes les techniques qui façonnent et déterminent notre culture. Mais nous pouvons peut-être les empêcher de nous accaparer et faire de nous le dernier médium (wetware) d'un message insensé. À condition que l'on se dé-branche im-média-tement. Oser couper la branche qui nous maintient à l'intérieur de notre représentation tree-trimensionnelle (x, y, z) de la nature ne provoquera pas notre chute dans le néant. Couper, c'est bien plutôt ici faire en sorte qu'une véritable décision ait enfin lieu. Decidere, en latin, veut dire, en effet, « trancher ». Seule la décision tranche, coupe, o_u_v_r_e littéralement un nouvel espace : l'autre espace : l'es-pace de l'autre, d'un autre monde. L'hyperespace est une ouverture, non pas sur le vide, mais sur une multitude d'univers parallèle(s) : le multivers.



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