Elanor

PROLOGUE - PARTIE II

Au chaud dans mon lit sous une couette épaisse, je dormais à poings fermés. Je me sentais si bien malgré mon corps engourdi. Comme la fois où je m'étais assoupie dans les bras de Thorin dans les galeries souterraines. Ce matin-là, il m'avait serrée si fort que j'aurais pu en tourner de l'œil ! J'arrivais encore à entendre le bruit des vagues qui heurtaient les rochers ainsi que ce cliquetis désagréable des gouttes d'eau qui m'avait réveillée après cette nuit de folie.

Bien avant le lever du soleil, j'avais avalé l'élixir de Thorin, alors pourquoi est-ce que je me trouvais toujours dans ma chambre ?

Pourquoi ? Fronçant les sourcils, je pris une grande inspiration pour tenter de me forcer à me concentrer pour tenter de trouver une explication à ce qui avait pu se passer.

Plusieurs minutes s'étaient écoulées et rien. À moins que... L'élixir n'était peut-être plus bon tout simplement ! Les principes actifs qui devaient s'y trouver avaient dû être dégradés avec le temps... Ou alors... Oui ! Cela me revenait : Thorin m'avait parlé d'une pleine lune. Mais en quoi cela aurait-il pu changer le cours des choses ? Je ne connaissais rien à la magie, qu'elle soit blanche ou noire, mais cela devait probablement être la raison de ma présence dans ce monde de cinglés où j'allais devoir continuer à vivre.

Quelque part dans ma chambre devait se trouver un calendrier avec les cycles lunaires... Sous mon lit ou peut-être bien dans mon dressing ? Ça n'avait plus grande importance maintenant.

- Serra ! Réveille-toi, il est l'heure ! cria ma mère d'en bas des escaliers.

En l'entendant, je jetai mon oreiller contre la porte de ma chambre en signe de protestation. Je me refusais à bouger davantage, à ouvrir les yeux ou même à lui répondre car je ne désirais qu'une chose : conserver cette sensation de bien-être où j'avais l'impression de flotter sur l'eau... Combien de cachets avais-je bien pu avaler pour parvenir à m'abrutir autant ? Même mes sensations étaient trompeuses ! En gratouillant mon matelas du bout des doigts, je pouvais sentir glisser quelques petits grains poreux qui...

- Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu vas être en retard !

Je ne pensais pas qu'elle perdrait patience aussi vite ! Je l'entendis monter avec empressement les escaliers en poussant divers jurons fleuris... Heureusement que je ne lui avais pas parlé de ma grossesse, ou elle aurait bien plus juré que ça ! Incapable d'affronter la vie qui m'attendait, je me recroquevillai avec difficulté sur moi-même en voulant rabattre ma couette par la même occasion... Mais mes doigts se refermèrent sur le vide ! À tâtons et les yeux fermés, je tentai de la trouver, mais en vain ! La nuit avait dû être agitée pour que je la jette comme ça par terre.

- Où es-tu donc passée ?

Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Comme si elle ne pouvait me voir... J'étais pourtant juste là, mon lit !

- Tu le fais exprès ? Va-t-en ! rajoutai-je du bout des lèvres.

Je n'irai pas travailler aujourd'hui. Il me suffirait de prétexter des nausées... Mes collègues m'avaient vu vomir plusieurs jours avant, elles penseraient que je couvais quelque chose et que j'étais réellement malade. Je restai ainsi, pendant de longues minutes, sans bouger d'un cil.

Mais très rapidement, mon lit me parut aussi dur que de la roche. J'avais une étrange sensation, comme si mon corps tout entier était mouillé... Un petit vent frais accompagné de chants d'oiseaux vint me faire grelotter.

- Pourquoi as-tu ouvert la fenêtre ? protestai-je. Ferme-la ! Il fait froid !

Mais elle n'en fit rien.

- Maman ! appelai-je en ouvrant les yeux.

...

Des arbres.

Non, c'était impossible ! J'écarquillai les yeux face à cet amas vert qui se dressait face à moi. Je me sentis soudain vertigineusement minuscule et impuissante, en comprenant que je venais de perdre le contrôle de ma vie. J'étais arrivée dans un autre monde... Le leur.

Et ce n'était pas un rêve, tout cela était bien réel ! Les bruits, les odeurs, les couleurs... L'eau qui m'entourait ! Je n'étais plus dans mon lit mais dans un petit ruisseau désormais... L'eau fraîche et pure s'écoulait tout le long de mon corps et c'était à peine si je pouvais bouger mes doigts gelés... Il fallait bien admettre que ma petite nuisette blanche n'allait pas me protéger du froid !

En avalant l'élixir de Thorin, je ne m'étais pas imaginée une seule seconde pouvoir me retrouver dans un lieu aussi... désert ! Je m'étais plutôt attendue à apparaître là où ils vivaient, la marmite sur le feu, arrivant à temps pour manger en leur compagnie... Et bien non ! Avec un peu de chance, j'étais peut-être bel et bien dans leur monde, mais Dieu savait où !....

Pourtant, maintenant que j'y étais, le choc me submergeait. Mais qu'est-ce qui m'avait pris de faire un truc pareil ? Je m'étais mise dans un sacré pétrin ! Pour la toute première fois de ma vie, j'étais livrée à moi-même dans une forêt inconnue... Je me rendais compte de mon erreur, mais il était bien trop tard !

Et pour couronner le tout j'avais l'impression d'être nue et exposée car ma chemise de nuit, rendue transparente par l'eau de la rivière, me collait à la peau. les bras croisés autour de moi pour tenter vainement de me réchauffer, je tentai d'analyser la situation avec calme... Le soleil était bien bas dans le ciel : était-il en train de se lever ou de se coucher ? Et qu'est-ce que j'allais bien pouvoir manger ? Grosse erreur ! La simple idée d'avoir un bon petit-déjeuner bien chaud fit grogner mon ventre de faim.

Trêve de plaisanterie, je devais partir et me sécher au plus vite.

Pourtant, j'avais beau essayer par tous les moyens, je ne parvenais pas à me relever : j'avais perdu toute mobilité. A contrecœur, je me résignai alors à patienter ici en attendant de retrouver l'usage de mes jambes.

L'air doux et frais embaumait des effluves d'un arbre à pin. Je pouvais aussi entendre les abeilles qui s'affairaient à leurs tâches quotidiennes en ramenant du pollen à leur reine. J'étais désormais si loin de la pollution !

J'allais devoir m'y habituer.