[ Chapitre 11 ]

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En rentrant chez Lise, je me suis effondrée sur le canapé sans retenir davantage mes larmes.
Je ne savais même pas pourquoi je pleurai.
Il m'avait mise hors de moi.
Il savait qui j'étais, il l'avait braillé.
Qu'est-ce-que je lui avais fait pour qu'il soit aussi infect ?!
Lise arriva en trottinant depuis la salle de bains et me prit contre elle.

-Wendy ? Wendy qu'est-ce qu'il t'arrives ma grande ?!

-Il est horrible. Horrible, horrible. Je ne comprends pas ce qui ne tourne pas rond chez lui.

La main douce de la grand-mère glissa entre mes cheveux.

-Élias ? Wendy, si tu ne te sens pas bien, tu sais que tu peux tout me dire. À moi ou à Henri, il comprendra tout aussi bien.

J'ai hoché la tête en essuyant rageusement mes larmes.
L'après-midi continua lentement, tandis que je décidais de quoi faire de mes dernières heures.

-Ma grande, je dois aller voir ma sœur dans la soirée, me prévint Lise. Tu peux m'accompagner si tu en as envie mais... mais nous allons parler de l'accident de voiture.

Je voyais clairement dans ses yeux qu'elle n'aimerait pas me savoir avec elle alors qu'elle serait aussi vulnérable.

-Oh je comprends, Lise. Non, non, j'ai prévu... J'ai prévu d'aller me promener ! Ne t'inquiète pas.

-Tu plaisantes ? Je ne veux pas que tu sortes seule ! S'exclama-t-elle.

J'ai lissé l'ourlet de mon jean et ai secoué la tête.

-Ne t'inquiète pas, je serai la plus prudente du monde. Je serai de retour avant la nuit et je ne sortirai pas du quartier.

Lise s'approcha davantage de moi, soucieuse.

-Wendy, je te fais confiance. Reviens avant la nuit.

Elle n'avait aucune crainte à avoir, la ville était d'un ennui mortel.
Le club de boxe, une supérette. Le parc.
Ce soir-là, je me tins éloignée le plus possible de cet endroit, tenant à honorer la promesse de prudence que j'avais faite à Lise.
Les pavés sous mes pieds, le vent du soir, les rues quasi désertes que je détaillais à travers mes fausses lunettes... Je respirais à pleins poumons, j'étais apaisée. Au détour d'une avenue, je suis tombée sur un cimetière.
Bien, voilà un endroit inoffensif.

Il était rempli de personnes venues poser de jolis bouquets sur les tombes de marbre.
Je me suis glissée parmi eux, presque invisible dans mon long manteau sombre.
J'entretenais une certaine fascination pour les cimetières, et ce depuis toujours. Rien n'est plus calme en ville, tout en étant l'endroit idéal pour réfléchir en profondeur, batailler avec des questions existentielles, se couper du temps, en quelque sorte.

En évoluant dans les allées, je comparais les dates inscrites sur les plaques.

Celui-ci n'avait vécu que six ans.
Celle là, à peine dix-neuf.
Quand je suis tombée sur quelque chose qui retint mon attention.

Rose-Marie Prissera.

Je me suis penchée sur la dalle, examinant la photo vieillie de cette femme.
Je me suis rendue compte avec stupeur que je reconnaissais le nez droit et les pommettes hautes de mon père.
Et au vu des dates, ce n'était pas sa mère, mais certainement sa sœur.
Il était logique que je n'ai jamais eu vent de son existence, mon père ne m'adressant qu'une phrase par mois.
Mais je ne pus m'empêcher de me sentir concernée par la présence de cette femme ici.

Aussi absurde que cela puisse paraître, je me suis accroupie à côté de la tombe et y suis restée longtemps, vraiment longtemps. Devant cette photo que je ne connaissais pas, cette photo d'une femme que j'aurais dû connaitre mais dont on m'avait caché l'existence, par volonté ou par oubli, toujours est-il que j'ignorais l'ampleur de l'ignorance dans laquelle je me trouvais face à ma propre histoire.
Je devais être épuisée pour fixer à une tombe sans gêne aucune, mais cela ne m'a pas empêchée de le faire durant des heures. Doucement, dans un murmure, j'ai salué cette tante défunte, me suis présentée, me suis excusée de mon intrusion dans sa quiétude. 
Je regardais la photo de ma tante et me suis mise à lui raconter, tranquillement, tout ce qui c'était passé, lui narrant les événements plus encore que je ne l'avais fait à Lise.

CharmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant