5.3; l'explication

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En ce mois de décembre, quand Ambre arrive au pont, une dizaine de centimètres trône sur le rebord du pont. Elle ne peut s'empêcher de trouver ça magnifique, mais elle enlève tout de même la neige juste avant de s'asseoir.

Nathan ne dit rien, il la regarde juste. Elle se sent observée et n'apprécie pas forcément ce sentiment, mais elle ne dit rien non plus. Comme s'il pouvait lire dans ses pensées, il détache son regard de la brune et observe l'eau à la place.

L'adolescente est curieuse par rapport aux mots d'hier midi. Quand elle y a réfléchit, elle s'est rendue compte que Nathan est moins distant qu'avant, comme s'il se sentait plus à l'aise avec elle. Elle trouve ça bien, mais craint qu'il suffise d'une journée, d'une heure, d'une minute ou d'une seconde de trop pour que tout bascule et qu'il ne veuille plus faire parti de ce monde comme Émilie.

Elle ne sait pas réellement pourquoi, mais elle se sent un peu mal de toujours penser s'il va sauter ou non. Elle avoue que ça l'inquiète, mais même si elle préfère ne pas y penser, il y a tellement de gestes ou de paroles faites ou dites par Nathan qui font qu'Ambre ne pense qu'à ça.

Elle ne veut pas qu'il s'en aille et peu importe à quel point ce geste semble égoïste, elle veut savoir ce qui le pousserait à bout. Elle ne devrait pas décider de la vie ou de la mort de Nathan, mais elle ne souhaite absolument pas sa mort. Celà lui briserait le coeur à nouveau et elle aura perdu une personne chère. Malgré que les deux adolescents ne connaissent que depuis deux mois, Ambre pense qu'il se sont vite rapprochés et elle trouve Nathan super.

- Désolé pour hier.

Ambre sursaute un peu, surprise par le ton de voix grave, mais tremblant du garçon.

- Comment ? demande-t-elle en tournant la tête sur la gauche.

- Désolé pour hier midi.

- Mais pourquoi ?

- Car.., soupire-t-il, hier, j'étais assez triste et ce n'est qu'après que je me suis rendu compte que je n'aurais pas dû écrire ce que j'ai écrit.

- Veux-tu m'expliquer pourquoi ? dit-elle doucement, espérant que ça ne le dérange. T'es pas obligé, hein.

- Je pense que ce serait mieux, vu que j'ai commencé hier.

Ambre hoche la tête de haut en bas pour dire qu'elle écoute.

- Depuis un moment, un très long moment, je suis triste, dit-il. Je pense que c'est dû à plusieurs choses qui s'accumulent. D'abord, je ne suis pas un enfant désiré, je n'étais pas censé être né et parfois, je me dis que j'aurais préféré être avorté. Ensuite, comme tu le sais, ma mère me dit à quel point je lui ai fait rater sa chance avec l'homme de sa vie et je me dis souvent que c'est vrai, je ne devrais pas être là. Ces deniers temps, je ne suis pas très bien à l'école. Je souhaite avoir de bons résultats, vraiment, mais je n'y arrive tout simplement pas. Des fois, mes humeurs sont peu triste et puis très triste dans la minute qui suit. Personne ne comprend pourquoi et personne ne cherche à comprendre, donc je me renferme. Je ne tiens pas à te retenir. Si tu veux partir, car tu en as marre de moi, je comprendrai ton choix et ça ne me dérangera pas tant que ça. Parfois, j'en ai même marre de moi-même. 

- Nathan, dit-elle après quelques minutes en silence. Je ne sais pas quoi dire, je... Je suis désolée, mais tu ne devrais pas dire tout ça. Je te trouve sympa et quand j'étais très triste, tu m'écoutais, tu me consolais et tu arrivais parfois à me faire sourire. Je suis contente que tu sois là et... et tu es tellement meilleur que tu ne le penses. 

- Merci, mais je n'en suis pas sûr... On me dit ça depuis tellement longtemps, que je comprends maintenant pourquoi. 

Ambre ne dit rien. Même si elle le voulait, elle ne sait pas quoi dire, elle est sans voix. Comment une personne peut se faire dire tant de fois qu'elle ne vaut pas le coup, qu'elle commence à croire les personnes ? 

- Il y autre chose que j'aimerais te dire aussi.., dit-il, d'une voix basse. 

La fille brune regarde les yeux bleus du garçon. Une étincelle de peur se démarque et elle se demande si elle devrait s'inquiéter. 

- Je t'ai expliqué mes moments assez tristes, mais il y a aussi eu des moments très, très tristes. C'est difficile à expliquer, mais quand je voulais qu'un trou noir m'adsorbe, que je saute dans l'eau ou tout simplement disparaître, mais que je n'en avais pas la possibilité, j'ai essayé quelque chose, explique-t-il. Ce n'est pas quelque chose dont je suis fier et si je pouvais, je les effacerai. Mais je ne pense pas pouvoir les enlever de ma peau à cent pourcent et comme tu es la personne la plus proche et en qui j'ai le plus confiance, je souhaite te les montrer pour te montrer à quel point je ne vaux pas le coup. 

Nathan soupire longuement et d'un geste tremblant, il prend la manche noire de son pull qui a l'air très épais, Ambre se demande même comment fait-il pour ne pas avoir froid avec un gros pull près de zéro degré celsius. Il remonte doucement sa manche et malgré la noirceur, la fille peut apercevoir des lignes claires et des formes étranges qui ressemblent à des bleus.

- Il y a un moment, j'ai essayé la première ligne, celle-ci, dit le garçon en pointant une petit ligne au milieu de son avant-bras gauche. Mais contrairement à certaines personnes, ça ne m'a pas donné de relief. Je me sentais peut-être un peu mieux, mais le fait de voir mon sang couler ne m'a vraiment soulagé. Même si je le regrette, j'ai essayé à nouveau quelques fois, car je voulais savoir si ça allait m'aider, mais ça n'a pas été le coup. Ça fait un bon moment maintenant, mais de temps en temps, je compte combien de lignes je me suis fait avec cette petite lame. Quatre. Je me suis fait uniquement quatre lignes sur mon avant-bras gauche, mais j'ai l'impression que ça fait quatre de trop. Jusqu'à le restant de ma vie, qu'elle soit longue ou courte, je me rappellerai à quel point je suis minable, soupire-t-il un moment, puis reprend. Peu de temps après, même si ça peut paraître bizarre, j'ai trouvé du relief en me cognant. Sur le coup, ça peut faire mal, mais après, pour une raison que j'ignore, ça me rend bien. Puis, après un certain moment, les bleus disparaissent, termine-t-il en baissant sa manche.

Ambre ne dit rien, elle laisse simplement son regard clair où elle pouvait précédemment voir les cicatrices. Nathan commence à se sentir mal à l'aise alors il ramène ses cuisses contre son torse et pose sa tête sur ses genous.

- Désolée, dit-elle rapidement quand elle remarque son malaise.

- Ce n'est rien, chuchote-t-il.

- ... Te fais-tu souvent des bleus ? demande-t-elle.

- Quand je me sens vraiment vide ou triste. Donc ça peut être souvent, oui.

Ambre se mord la lèvre inférieure et sent quelques larmes lui monter aux yeux. Comment peut-il être autant brisé ? Elle pense qu'il est superbe, mais lui, ne voit que le contraire. Il ne se fit pas à lui-même pour voir son image, mais il se fit aux autres qui ne font que le rabaisser. Sa mère qui lui dit qu'il n'aurait pas dû être né, son père qui n'est pas là pour l'aider, le stress à l'école qui lui donne l'impression de suffoquer. Il est comme du verre brisé et si elle tente de le réparer, elle espère qu'elle ne va pas se couper avec les bouts tranchants.

Elle soulève la manche de son manteau et de son pull pour regarder l'heure sur sa montre, dix-neuf heures cinquante cinq. Elle devrait se lever et partir, mais elle ne veut pas. Elle ne veut pas l'abandonner, elle veut discuter avec lui. Sauf qu'elle n'a pas son téléphone pour  prévenir ses parents qu'elle reste un peu plus au pont et ils s'inquiéteront si elle ne rentre pas avant vingt heures dix.

Elle se lève difficilement et enlève la poussière invisible sur son manteau d'un coup de main. En enjambant le vieux grillage, elle croise le regard de Nathan et ce dernier lui sourit. Elle fait de même et de l'autre côté du grillage, elle sourit à nouveau, mais plus faiblement.

- Passe une bonne nuit, dit-elle.

- Toi aussi, passe une bonne nuit.

Et même si elle sait que les deux ne passeront pas une bonne nuit, elle espère quand même que ça ne sera pas le cas. 

The Brige of Sad Teens [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant