Invitation. Pitié. Pas de talons.

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- Je suis vraiment obligée ? Gémis-je.

- Oui, affirma Devon en serrant sa main sur ma taille. Mais détend-toi, on va d'abord voir ton père, on rejoindra Andrew après.

Je soupirai profondément et terriblement mal à l'aise. Vêtue d'une robe droite légèrement décolleté dans le dos et dans une couleur vert sapin très chic, je traînai des pieds, incapable de me détendre. J'avais l'impression d'être une plante verte qu'on avait tenté de décorer pour Noël mais que le résultat était plus qu'improbable. Cela me rappelait le vieux sapin aux branches rachitiques du Noël de mes dix ans. Ma mère avait peu de moyens à l'époque, mais elle avait tenu à faire un sapin. Alors elle avait trouvé un pas chère dans un stand, un peu dégarni mais correct auquel nous avions mis trois pauvres boules et quelques guirlandes. Il ne payait pas de mine. Mais j'avais aimé ce Noël, le rire de ma mère devant ma tête déconfite face au résultat, l'odeur de pain d'épice qui cuisait dans le four. Ma mère me manquait.

Cependant, ce n'était pas le moment de penser à elle. J'avais un autre membre de la famille à affronter. Je massai ma nuque dégagée alors que j'avais tenté d'être plus présentable. J'avais face au miroir pour la première fois depuis mon retour à Dacer. Et j'avais du constater l'inévitable. J'avais encore changé. Ma peau n'avait plus rien du teint hâlé que j'avais pu avoir, j'étais devenue beaucoup plus pâle et ma peau transparaissait désormais dans un voile neigeux. Mes pommettes étaient plus marquées, j'avais sans doute maigri durant... ma période d'absence à Dacer. Seuls mes yeux semblaient avoir gardé cette couleur verte vivace et pétillante, comme si au fond quelque chose voulait me dire que je n'avais pas tant changé que cela.

J'étais restée de longues minutes face au reflet du miroir à fixer les traces qui marquaient ma peau. Pour la première fois, j'avais trouvé élégantes ces marques noires qui accaparaient une grande partie de mon visage. J'aimais aussi la finesse des marques blanches, plus discrètes et effacées sur ma peau pâle. Et l'apothéose fut mes cheveux. Ils étaient si longs, si épais, si bouclés. J'avais toujours apprécié mes cheveux cependant ils étaient tellement difficiles à dompter, ce fut donc une bénédiction de pouvoir passer un peigne sans m'arracher la moitié du crâne. Pour l'occasion je les avais ramassés en un chignon décoiffé, sur le bas de ma nuque. Dégageant, ainsi, mon visage. J'inspirai profondément en louchant derrière moi. Kenan marchait en retrait, ses yeux fixant mon dos et mes épaules nues. Son regard me troublait. Son regard me faisait frisonner. Ses yeux étaient noirs comme la nuit. Pourtant ma colère envers lui restait dans le creux de ma gorge. Je détournai les yeux.

- Arrête de triturer cette robe, elle te va très bien, Princesse.

Négligemment, je marchai sur le pied de Devon. Avec son air moqueur il ne méritait que ça. Il jappa légèrement dans un vrai bruit de chien. Il me fusilla du regard en retour mais passa familièrement son bras autour de ma nuque en me faisant sourire. Il riait déjà pour sa part, enveloppant le long couloir de son rire masculin. Je serrai ma main sur son bras plus doucement. Il m'avait manqué. Mon cœur était lourd d'un chagrin que je n'arrivais pas à apaiser seule, mais quand Devon passa son bras ainsi autour de moi j'avais l'impression que cela irait. Cela irait parce que j'étais entourée d'amis. J'avais des amis. C'était une pensée simple, pourtant ma poitrine s'en gonfla d'émotion.

- Pleure pas, gémit Devon en grimaçant. Pas maintenant ! Arrête tout de suite, aller ravale-moi ça !

- On dirait vraiment un petit chien, ris-je sans m'en rendre compte.

- Petit ? Si tu me comparais à un berger allemand, passe encore, mais là j'ai plutôt l'impression que tu me compares à un caniche.

- C'est mignon les caniches, tentai-je faussement sérieuse.

Water Lily : l'éclosion.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant