Water Lily : l'éclosion.

Un monde. Leur monde. Mon monde ?

- ça fait mal, me plaignis-je.

Mais personne ne me répondit. Même pas un pique moqueur de Kenan compte à mon manque de grâce. Je rouvris les yeux, soulagée de ne plus ressentir aucune douleur. Pas le moindre picotement, pas la moindre gêne. C'était comme si tout s'était envolé. Et je comprenais parfaitement pourquoi : on m'avait emmené ailleurs.

Avec une lenteur prudente, je me redressai pour affronter cet endroit que je ne connaissais pas. De vieille brique ocre m'entouraient alors que la pièce était exigu et sombre. Il semblait que j'ai atterri dans une cuisine vu l'amoncellement d'ustensile dont je ne connaissais pas le nom mais qui m'évoquaient nos objets modernes. Un feu crépitait dans une large cheminée et la chaleur ambiante contrastait avec l'épaisse couche de neige que je distinguai derrière une vitre relativement opaque. J'avançai lentement jusqu'à celle-ci, appuyant mes doigts sur la buée épaisse afin de pouvoir mieux distinguer l'extérieur mais il faisait si sombre qu'il était impossible de distinguer le moindre lieu.

- Kenan ! Cesse donc d'embêter ta mère !

- Papa ! Gémit la voix d'un enfant.

Mon cœur se mit à battre plus rapidement. Kenan. Doucement, je m'avançai vers l'entrebâillement d'une vieille porte en bois. Je me glissai dans l'encablure, veillant à ne pas trop pénétrer dans la pièce. J'écarquillai les yeux alors que la première chose que je contemplai, fut un visage familier et pourtant très différent. Des joues rondes, le teint mâte et des cheveux noirs coupés court. Il n'y avait aucun doute. Ce petit garçon, qui ne devait pas avoir plus de six ans, était Kenan. Ses grands yeux vert me confirmant ma pensée.

Le petit garçon, dénué d'aile, tirait sur le bas de la jupe d'une femme. Je redressai le visage pour la contempler. Elle était belle. Réellement. Sa peau était pâle, comme celle de Maël, mais elle possédait deux iris identiques à celles de son démon de fils. Elle portait de long cheveux blonds qui tombaient en cascade jusqu'au bas de ses reins. Plutôt grande et gracile, elle resplendissait d'une beauté que les années n'avaient pas fanées et ne fanerait sans doute jamais. Elle souriait d'un bonheur que je ressentis même sans avoir besoin de la sonder. Dans ses bras menues tenaient un petit poupon fragile et aux cheveux d'une blondeur qui ne trompait guère. Maël. Il n'était qu'un nourrisson aux joues roses.

- Comment il s'appelle ? Gémit un Kenan sautillant pour apercevoir son jeune frère.

- Maël, intima la voix cristalline de la jeune femme. Il va falloir que tu prenne soin de lui, tu es son grand-frère.

- Moi ? Intima le petit garçon en se pointant du doigt, naïvement avant de reprendre enthousiaste. Je le ferai ! Je le protégerai toujours !

La mère souriante releva les yeux vers un homme, guère plus âgé qu'elle. Il sourit à son tour alors que je retrouvai dans son visage les traits d'un Kenan adulte. Masculin, la peau mâte, la mâchoire saillante et recouvert d'une fine barbe de quelques jours. Il avait un côté plus doux que le démon que je connaissais si bien, sûrement était-ce dû à ses yeux saphir hérités par Maël. La scène était probablement anodine. Une famille heureuse bien que précaire à en juger par l'habitation, mais le sourire de tous témoignait d'un bonheur acquis durement mais précieux à chacun.

Aussitôt le décor changea et cette fois aucune chute douloureuse. Juste un décor mouvant et rapide, défilant autour de moi. Je devenais la spectatrice d'un film accéléré. J'en saisissais quelques brides moins rapide que d'autre. La naissance de Bianca alors que Kenan était âgé d'une dizaine d'année et Maël n'ayant pas plus de cinq ans. Le plaisir de Kenan à apprendre le métier de fermier, que lui enseignait son père. Le soin qu'il prenait à être un bon grand-frère. Ses moments de plaisir qu'il partageait avec un Maël plus jeune et plus frêle que lui. Puis les images cessèrent de défiler, redevenant une image fixe et précise.