7 ~ Les limites.

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Ma première réaction fut de me demander ce que cet enfant pouvait bien faire ici. Ensuite, je m'interrogeais sur la raison qui pouvait bien lui faire pousser une gueule de six pieds de long. Puis pour finir, je fronçai les sourcils en me remémorant la bouteille à moitié vide qu'il avait en main.

« Je t'en pose des questions moi?

– Heureuse de voir que quelques gouttes d'alcool ne changent en rien ton caractère horripilant. »

J'avais répliqué du tac au tac en levant les yeux au ciel, exaspérée et pas vraiment étonnée d'entendre la voix de Jonas résonner dans mon esprit. L'infime once de pitié que j'avais pu avoir envers lui lorsque j'avais vu son état fut plus que rapidement balayée par ses paroles, ou plutôt ses pensées devrai-je dire, et la mauvaise habitude qu'il avait pris de s'infiltrer dans mon crâne quand je m'y attendais le moins.

« Tu crois vraiment que je contrôle ça mieux que toi?

– Qu'est-ce que je disais...

– Nan mais t'as pas fini de te plaindre et de faire ta meuf au dessus de tout ça? »

Choquée par sa remarque, j'écarquillai les yeux et quand mon regard croisa le sien, j'y vis une étincelle de regret et, aussi vite que son emportement était apparu, il se dissipa.

« Excuse-moi...murmura sa voix dans ma tête, si faible que dans un premier temps, je crus mal avoir entendu. C'est juste que... Y a pas que pour toi que cette histoire est compliquée à gérer tu sais. En réalité je suis tout autant perdu que toi. »

« Elsa? Ça va? »

Interrompue dans mes pensées, je me retournai vers Logan, chassant ses inquiétudes d'un faible sourire dissimulant mon hébétude interne.

« Bon dans ce cas... Je retourne danser alors, à plus! »

Je ne pris même pas la peine de lui répondre, et le garçon plongea dans la marée humaine noire et compacte d'adolescents en sueur.

« Viens me voir Elsa... »

Décidément, l'alcool ne réussissait pas à ce pauvre Jonas!

« Eh c'était qu'une bière! protesta une voix dans mon esprit. Bon ok, peut-être deux. Ou trois. Enfin je sais plus trop en fait. »

Un blanc s'installa dans mon crâne, mais je pouvais continuer de sentir la présence de l'autre dedans. Cependant, tout ça était bien trop énorme pour moi. Je préférai alors détourner le regard et ne pas me préoccuper de ce garçon.

Tout à coup, je sentis une main sur mon épaule et me retournai alors pour identifier son propriétaire. Bien entendu, je restai alors comme deux ronds de flanc face à ces yeux bleu électrique qui contrastaient avec l'obscurité de la pièce.

« C'est pas très sympa de m'ignorer comme ça dis-donc... souffla Jonas près de mon oreille pour se faire entendre parmi le vacarme de la fête. »

Bien évidemment, ce geste me pétrifia. J'aurai voulu lui lancer une réplique cinglante mais le temps de reprendre mes esprits et d'arriver à formuler une remarque, son visage constellé de tâches de rousseur qui était moqueur il y a quelques instants était devenu tout à coup sérieux:

« Tu es très belle aujourd'hui Elsa. »

C'est alors que je réalisai que cela ne pouvait pas être là réalité. Je fermai fort les yeux et effectivement, quand je les rouvris, Jonas avait disparu. Après un regard dans le coin de la salle, je m'aperçus qu'il y était toujours avachi. Cependant, l'air sérieux qu'il abordait il y a quelques secondes était toujours imprimé sur son visage.

Alors, un frisson me parcourut, et la limite entre rêve et réalité devint on ne peut plus floue. Je m'aperçus donc qu'il était temps de clarifier cette limite, de voir jusqu'où nous pouvions aller, jusqu'où nos "pouvoirs psychiques" pouvaient aller.


Jonas porta la bouteille qu'il avait toujours en main jusqu'à sa bouche, m'arrachant un froncement de sourcils: n'était-il pas déjà assez mal en point comme ça?

Je crus sentir qu'il tenta de me répondre mentalement mais je me concentrai de toutes mes forces et réussis alors étrangement à repousser sa voix, n'entendant donc pas sa réponse. Tout ce que je voulais, c'était qu'il lâche cette foutue bouteille! Y voyant l'occasion de tester notre connexion mentale, je m'imaginai m'approchant de lui pour la lui ôter des mains. Alors, depuis l'autre bout de la salle, je le vis écarquiller les yeux en direction de mon "moi imaginaire".

Ainsi, j'eus la certitude que nos deux esprits étaient étroitement liés: en plus de pouvoir communiquer par la pensée, il semblerait désormais que notre imagination n'aie plus de limites, et que l'un et l'autre pouvions y avoir accès.

Brrr, y avait de quoi être encore plus mal à l'aise! En même temps que je pensais cela, je vis Jonas, que j'observais toujours, secouer la tête et fermer les yeux. Quand il les rouvrit, il aperçut mon petit sourire satisfait, et sembla alors lui aussi saisir la portée de notre connexion mentale.

Sans vraiment savoir pourquoi (à cause de l'alcool peut-être?), il paraissait alors plutôt en colère: les sourcils froncés, il se leva d'un bond et se dirigea d'un pas vif vers la foule rassemblée sur la piste de danse. Cependant, il était hors de question que je le perde de vue; je m'approchai alors également, essayant du mieux possible de le garder dans mon champ de vision.

Je le regardai se frayer aisément un passage entre cette masse compacte d'ados en sueur, bougeant légèrement au rythme de la musique. Puis ses yeux se fixèrent sur quelque chose, et un sourire apparut sur son visage. Toutefois, ce n'était pas un vrai sourire. Celui-ci avait un arrière goût de... mesquinerie.

Et alors, je le vis apostropher une fille. Je n'eus même pas le temps de réaliser ce qu'il se passait que ses mains enserraient déjà la taille de cette fille. Fille qui possédait d'ailleurs bien trop peu de tissu sur elle, si vous voyez ce que je veux dire...

Intérieurement, je fulminai: ce salaud le faisait exprès. Je pouvais presque deviner sa petite voix moqueuse tentant de se frayer un chemin jusqu'à mon esprit. Mais j'y avais dressé des barrières solides, et je n'avais pas envie de les faire tomber tout de suite.

Je savais que je ne devais pas réagir à sa provocation: après tout, il pouvait bien danser avec qui il voulait, ce n'était pas mon problème non? Je réussis alors à cacher tant bien que mal mes expressions.

Peut-être vexé de voir que je ne réagissais pas, ou alors de ne pas avoir accès à mes pensées (ou tout simplement ayant une trop grosse quantité d'alcool dans les veines), Jonas plaqua rapidement sa bouche contre celle de sa cavalière, et celle-ci sembla y prendre plaisir. Leur baiser devint d'ailleurs si langoureux qu'ils durent s'arrêter de danser.

La jalousie et la frustration que je ressentis à ce moment-là dissipèrent ma timidité et, pour la première fois de mon existence, je fis preuve d'une audace qui m'étonna: j'attrapai le bras du premier venu avant de croiser mes mains derrière sa nuque et de me déhancher au rythme de la musique contre lui. Peut-être que l'alcool que j'avais involontairement ingurgité à cause de Logan commençait également à me faire de l'effet et était un facteur de plus expliquant mon comportement...

Quelque part, j'étais plutôt fière de ma petite provocation, surtout quand je vis Jonas se décrocher de sa pouffe pour nous fixer, moi et mon cavalier inconnu, d'un regard certes étonné, mais également haineux. Et quand, malgré les barrières mentales que j'avais érigées, je l'entendis hurler dans mon crâne, je me rendis compte que j'avais peut-être dépassé les limites:

« Putain Elsa nan mais à quoi tu joues là bordel?! » 

Elsa's DreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant