De retour chez moi, à deux heures du mat', j'étais exténuée. Les évènements récents n'ajoutaient rien à ma fatigue, et en m'écroulant sur mon lit adoré, je pensais tomber dans une nuit douce, profonde, et sans rêve. Toutefois, ce ne fut pas le cas...
J'étais dans des gradins. En face de moi s'étendait un terrain de football. Sur la pelouse verte, de jeunes joueurs s'activaient, enchaînant des slaloms, des accélérations, des tirs au but, et le tout la balle au pied. D'autres encore, plus loin, faisaient du renforcement musculaire, comptant des séries de pompes et d'abdos. Une brise légère me fit frissonner, et je jetai un regard au panneau d'affichage électronique en bordure du terrain, m'annonçant qu'il était 8h30. Par cette fraîche matinée dominicale de février, des volutes de fumée s'échappaient des joueurs, témoignage de leur effort intense. Cet univers ne m'était pas familier, pourtant j'avais comme une impression de déjà vu, comme si ce n'était pas la première fois que je me retrouvai en ces lieux. Intriguée, je descendis les marches des gradins pour m'approcher de la barrière délimitant le terrain.
Au même instant, un coup de sifflet retentit, poussé par un homme que je devinai être l'entraîneur. Aussitôt, les garçons abandonnèrent leurs ballons un peu partout sur la vaste pelouse, rejoignant au petit trot le centre du terrain. Leurs souffles et leur corps rendus chauds par l'effort formaient une brume légère, et seules leurs silhouettes m'apparaissaient sur ce nuage découpé sur le ciel orangé. Le soleil finissait de se lever. Tout autour, le calme régnait. Les premiers oisillons les plus hardis tentèrent des petits piaillements, mais ceux-ci eurent vite fait de mourir silencieusement dans le silence apaisant de cette matinée. Les adolescents tendus à bloc contrastaient avec cet univers de sérénité, pourtant ils semblaient s'y fondre, comme s'ils faisaient partie intégrante de ce paysage.
L'entraîneur eut l'air d'avoir fini de donner ses instructions, car les jeunes garçons s'éparpillèrent de nouveau, retrouvant leurs ballons abandonnés et reprenant leur entraînement. Je ne m'étais jamais particulièrement intéressée au foot, toutefois je me sentais à ma place, accoudée à la barrière du terrain observer les jeunes passionnés se démenant dès dimanche, 8h30. J'accordais mon attention à chacun des joueurs, à tour de rôle, m'intéressant d'abord à leur technique, leur jeu de jambes, au contrôle qu'ils avaient de la balle. Puis, j'observais la manière dont ils se servaient du reste de leur corps, trouvant leur équilibre dans leur course et évaluant leur parcours d'un œil alerte. Enfin, je regardais leurs visages, la concentration qu'on pouvait lire sur chacun d'eux. Aucun ne parlait, absorbé dans sa tâche, et ils me semblaient tous vraiment doués. Cette observation me fascinait, et j'aurai pu continuer ce petit jeu longtemps. Cependant, alors que j'avais déjà passé en revue une petite dizaine de joueurs assez prometteurs, le jeu du suivant me semblait étrangement familier.
Contrairement aux autres, ce garçon semblait avoir la balle clouée au pied, comme si celle-ci était dotée d'une conscience propre et savait à l'avance dans quelle direction elle devrait se diriger. Grâce ou peut-être à cause de ça, la course de ce garçon se démarquait de celle des autres: il courait à toute allure, ses cuisses et ses mollets se contractant à chacune de ses grandes foulées, sans se préoccuper de la balle. Son rythme, bien que rapide, était régulier et, en levant petit à petit les yeux sur les reste de son corps, je vis que malgré cette course folle il semblait serein, tout comme le paysage qui l'entourait. Arrivant enfin à son visage, je reçus comme un coup de poing. Mon cœur me semblait lourd dans ma poitrine quand je le reconnus.
Jonas.
Passé le choc de le trouver ici, je repris mon calme et continuai mon observation. Ce n'est qu'à cet instant que je remarquai que ses paupières étaient closes. Pourtant, il continuait sa course folle, comme si l'image de son parcours était imprégné dans sa tête, à la foulée près. Il esquiva un plot, fit un demi-tour, sauta au dessus d'un petit obstacle, faisant passer la balle en dessous, puis, il tira. La balle décrivit un magnifique arc de cercle avant de s'arrêter dans le filet du but. Alors, il ouvrit les yeux, afficha un large sourire, puis partit chercher sa balle au petit trot.
Pendant le reste de l'entraînement, je ne pus détacher mon regard de chacun de ses mouvements. Ici, sur ce terrain, en ce dimanche matin, entouré de ballons et de coéquipiers, il semblait plus serein et épanoui que jamais. C'était comme si les masques étaient tombés, comme s'il m'offrait ainsi son véritable visage. Quelque part, j'avais toujours su que le Jonas footballeur était différent de celui qu'il laissait paraître au lycée.
Bien plus tard, vers 10h, alors que l'entraînement finit et que les joueurs dégoulinant de sueur se dirigeaient vers les vestiaires parmi les boutades et les accolades, je m'approchais légèrement du groupe. Jonas, qui était resté en retrait pour ranger ses affaires dans son énorme sac de sport, leva les yeux vers moi. Une rapide surprise passa sur son visage, mais celle-fut balayée par un sourire. Un immense sourire, le genre que je ne lui avais jamais vu et qui me fit sentir tout de suite à l'aise, comme si un petit feu s'était allumé dans ma poitrine et me réchauffait en cette fraîche matinée. Malgré la sueur qui perlait à son front et ses jambes pleines de boue, je lui trouvais un charme vraiment particulier. Celui du "vrai" Jonas sûrement...
« Tu es venue. »
Ce n'était pas une question, c'était une affirmation. Et une de celles qui le rendaient des plus heureux.
J'ouvris les yeux, mais les refermai rapidement, éblouie par le soleil qui, timidement, perçait à travers mon velux resté ouvert. Physiquement, je me sentais tout à fait reposée. Il était 11h45, j'avais donc dormi un paquet d'heure. Cependant, une pelouse verte, des ballons et des corps en sueurs étaient imprégnés dans mon crâne. Agacée par ce rêve étrange, je tendis dans un réflexe la main vers mon téléphone posé sur ma table de chevet. Encore comateuse par cette longue nuit, je le déverrouillai et vérifiai rapidement les actualisations des divers réseaux sociaux. Je fis défiler les statuts sans intérêt, cherchant juste à me réveiller doucement en ce dimanche matin. Quand je tombai sur un statut de Jonas, ce fut chose faite, et le choc fut plutôt brutal:
@jonas-tylt, ajd à 10h32:
"Le meilleur des réveils #entrainementmatinal #deuxheuresnonstop"
A ce statut était épinglé une photo. Un terrain de foot dans la brume. 8h49.
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Elsa's Dream
Teen Fiction« Jonas, aime-moi! - Dégage de ma tête bordel! » ✴✴✴ Au début, je ne lui prêtais pas vraiment attention. Il n'était qu'un autre garçon misogyne parmi tant d'autres, cherchant comme il pouvait à attirer l'attention. Ce genre de gars m'exaspérait. Pui...