Ne pas rougir

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Champs Elysées - 25 février - 17h30

Je suis heureuse de le revoir. Assise face à un café au lait que j'ai à peine touché, je checke régulièrement l'heure tout en donnant quelques instructions brèves par téléphone à Sophie, une de mes éditrices. Le texte sur lequel elle bosse est loin d'être parfait. Ethan ne devrait pas tarder. Evidemment, cinq ans plus tard, ce que j'ai pu ressentir est loin. Je suis fiancée, j'ai bâti ma vie ; je ne suis plus cette jeune-femme en construction.

Je sais qui je suis, dans quelle direction je file. Je suis sûre de moi, pas comme à l'époque. Il a dû changer aussi, j'ai hâte de découvrir celui qu'il est devenu. Sans trop savoir pourquoi, je suis certaine que je ne serai pas déçue. Peut-être à cause de ses textos. Quelques mots seulement, mais qui trahissaient une véritable assurance. A mon avis, on est loin du mec juste majeur et carrément paumé à qui j'ai enseigné.

Et si je stresse, c'est pour une unique raison : je me connais, je vais rougir. J'ai la peau claire et mes émotions se lisent dans la couleur que je prends, du rosé au rouge tomate. Je déteste ça et suis totalement incapable de l'éviter.

Ethan va arriver et j'ai peur de rougir. Ce qui nécessairement, à partir du moment où je le redoute, est incontournable. Je poursuis donc ma conversation téléphonique le plus longtemps possible. S'il pouvait débarquer pendant que je parle, j'aurai une excuse pour me détourner le temps de reprendre possession de moi-même, ce serait parfait. Comme avec l'éponge au lycée.

Merde, le voilà. Je ne vois pas son visage, mais j'ai reconnu instantanément sa longue silhouette un peu penchée. Il pousse la porte. Je me détourne légèrement, mime la concentration. Je respire à fond pour bloquer au maximum la rougeur terrible que je sens monter, ne lui offre qu'un bref regard en signe d'excuse.

Je n'aurai pas dû. Le même Ethan, avec cette maturité que prennent les hommes avec l'âge qui le rend plus magnétique encore. Souffler profondément. Tout se passera bien. Voilà, le fard que j'ai piqué n'était pas si terrible. Coup de bol, j'ai réussi à me contenter d'un léger rose prononcé, pas d'incarnat en vue.

Je raccroche enfin. Sourire.

- Ça va ?

Il s'assied en face de moi.

Les chaises sont-elles si petites dans ce café ?

Non, c'est lui. Je ne peux pourtant pas lui demander s'il a grandit, ça la fiche mal.

- Raconte moi ! m'exclamé-je un poil trop fort, légèrement fébrile.

- Non, commence.

Sourire. Le même sourire, immense.

- Toi d'abord. Le privilège de l'âge, plaisanté-je.

Moue de sa part.

Quoi ? C'est vrai que je suis plus âgée que lui ! Et en ce moment, avec la fatigue due au boulot, je traque carrément les poches sous les yeux et les premières rides.

- Sarah, arrête.

- Chut, raconte, je suis trop curieuse.

Il se laisse aller sur le dossier de sa chaise, jette un œil par la fenêtre sans vraiment prêter attention au balais des touristes sur l'avenue.

- Ok. Donc là je bosse à Europe 1, pour la matinale.

- En tant que journaliste, c'est ça ?

- Assistant antenne. Le matin. L'après-midi, j'écris pour le blog de la station. Beaucoup de travail. Le type qui m'a embauché n'arrête jamais. Il m'envoie des SMS tout le temps et si j'ai le malheur d'être chez moi, je suis obligé de rouvrir l'ordinateur. Quand je ne suis pas dispo, il me dit que je suis un abruti. Ce n'est pas méchant, juste chiant. En tout cas, je ne sais pas si tu te souviens, je n'ai jamais eu une mauvaise orthographe. Mais tout de même, je me suis rendu compte que je faisais des fautes d'accord, j'ai bossé là-dessus depuis deux ans.

Me souviens pas du niveau en orthographe. Je hoche la tête. Flash : son écriture. Je me rappelle parfaitement de son écriture.

- C'est sympa. J'adore en fait, même si je n'ai plus franchement le temps pour autre chose. J'ai le sentiment de bosser tout le temps.

Je connais...

- Et le théâtre ?

J'étais persuadée qu'il abandonnerait les études pour le théâtre. Toujours prêt à manquer un cours pour une audition. Mais je ne doutais pas une seule seconde de son talent, même sans l'avoir vu jouer. Il rayonnait tellement. Flash : Ethan en retard qui entre précipitamment dans la salle de cours. Nos yeux qui se rencontrent.

J'ai chaud. Mon cœur a battu fort pendant une seconde.

The way she fallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant