Nuit - 2

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Paris convention - samedi 26 février - 21h35


J'ai enlevé mon gros pull. Juste pour qu'il me voit avec cette robe noire moulante. J'ai envie qu'il découvre mon corps. Au moins des yeux. Et puis il a été en retard et j'ai eu froid. Je l'ai ré enfilé en pestant.

Mon portable sonne. Il est sur le trottoir. Accélération cardiaque. Enlever à nouveau le pull ? Trop froid tant pis. On s'installera bien dans un café à un moment non ? Je ne vais pas attraper un rhume pour plaire à un gosse de 24 ans.

24 ans. Qu'est-ce que je fiche moi, plantée dans ce hall de lycée alors que le fiancé parfait m'attend à la maison ? Je suis conne, c'est tout.

J'attrape la poignée de la porte et tire. Il est de profil, relève son visage vivement. Une chaleur bouleversante se propage en moi et j'oublie tout.

- Hey. Soufflé-je

Génial. Hey. Bon.

Il me suit à l'intérieur. Je récupère mes affaires au sol, me relève. La lumière s'éteint.

La lumière s'éteint.

Il l'a rallume aussitôt sans même m'accorder un regard.

Ok.

En même temps, la lumière s'éteint, il la rallume, c'est logique. Il ne peut pas lire dans mon cerveau et je me vois mal lui dire "non, attends, jette toi sur moi plutôt ok ?" De toutes façons, c'est trop tard, la lumière crue et jaune me glace sur place. Autant sortir de là.

Dans la rue, un vent gelé nous accueille.

-Qu'est-ce qu'on fait ? demande-t-il.

- On marche ?

Si je reste sur place, mon cœur va exploser. J'ai besoin de bouger pour me calmer. La tension qui m'habite est trop insoutenable. Il me faut un moyen de l'évacuer.

- Ok. Par là ? me propose-t-il en indiquant la rue du commerce.

Très bien. Le chemin que je prenais pour rentrer lorsque j'enseignais ici. Souvenirs, souvenirs. Il part à grandes enjambées. J'allonge le pas pour le suivre, mais mes jambes sont beaucoup trop petites. Je suis congelée. Qu'est-ce que je fiche là ? Je n'aurai jamais dû venir. S'il continue à ce rythme-là, je devrai me mettre à courir pour ne pas être larguée.

- Ethan, ralentis, je n'arrive pas à te suivre.

- Pardon.

Il baisse brièvement la tête. Le sentiment qui passe dans ses prunelles est indéchiffrable. Mais intense, comme toujours. Comment ce type s'y prend-il pour rayonner ainsi ? J'ai toujours cette impression que ses émotions débordent et contamine tout autour de lui.

La tête enfoncée dans l'écharpe qu'il relève jusqu'à ses oreilles, il ralenti quelques secondes, avant de repartir sur le même rythme.

- Ethan, vraiment ralentis, j'ai des petites jambes moi !

- Oui, oui, excuses moi.

Je souffle une seconde. Un peu d'honnêteté ne nous fera pas de mal.

- C'est parce que tu es nerveux.

- Toi aussi.

Certes.

Nous descendons la rue, longeons un bar d'angle où j'ai travaillé comme extra quand j'étais trop fauchée. Ce quartier est bourré de fantômes. Et le plus troublant d'entre eux est à mes côtés. Même si j'ignore comment nous nous sommes retrouvés à parler de voyages.

Ni pourquoi nous sommes un quatre d'heure plus tard non loin de la tour Eiffel. Je ne pensais pas passer par-là. Quant aux cafés, ils semblent ne pas être à côté. Nous abriter, ce ne sera pas pour tout de suite. Ethan me désigne un parc du menton. La tour Eiffel au bout qui scintille. Il doit être 22h. Je suis épuisée. Mes défenses vacillent. Je pense fort à Paul. Pour une raison qui m'échappe, je n'arrive pas vraiment à m'en vouloir d'être là. Alors que je sais que cela le tuerai s'il savait.

Mais il semble loin. Si loin.

Il n'y a que ce moment qui compte. Nos respirations dans la nuit froide. Nos deux corps repliés sur eux-mêmes à cause de la température et de ces non-dits.

- Paris ne te manque pas ?

- Non. Il fait moins froid qu'ici.

Silence.

- Oh youpi ! Regarde, c'est top on parle de la météo maintenant ! lancé-je.

Il rit. Se redresse et souffle.

- Ok. Est-ce qu'on va éviter le sujet toute la soirée comme ça ?

Non, je ne cherche pas à éviter la conversation. Simplement, j'ai envie aussi de savoir qui il est et ce qu'il aime. Je me contente de croiser brièvement ses yeux pour me détourner aussitôt. Flûte : le regard. Celui qui me scotche et contre lequel je me sens incapable de lutter. Je souris, crispée.

Il gémit, s'étire.

- D'accord. Je...

Il a l'air sur le point d'avouer quelque chose. La tension que je pensais à son comble monte pourtant encore d'un cran. Ses yeux se perdent au loin. Je comprends que c'est dur à cet instant pour lui. Les mots se coincent dans sa gorge. Un peu comme s'il se battait avec lui-même. Il a envie de les balancer et en même temps se retient au dernier moment, hésite. C'est de ma faute, je ne lui facilite pas la tâche.

Il se mord les lèvres. Une fossette se creuse sur sa joue. Il plante ses dents dans son poing. L'aveu est là, tout proche. Et il est diablement sexy dans cet état là. Un frisson me parcourt. Mais pas de froid. De désir. Un frisson qui jailli directement de mon ventre.

- Je... Je ne te veux pas que pour une nuit. Je... veux plus avec toi... donc il ne se passera rien entre nous tant que tu ne seras pas libre. S'il y a un nous un jour, je veux que ce soit propre. Que notre début soit propre.

Merde. Ce ne sont pas tellement les mots, plus ce qui se dégage de lui qui rend cette déclaration tellement érotique. Alors même qu'il m'annonce ouvertement qu'il ne me touchera pas. Totalement incohérent. Et terriblement émouvant. Il m'a touché en plein cœur.

J'ouvre la bouche. Aucun son n'en sort, je ne sais pas quoi dire.

Et Paul ? Il me parle de quitter Paul. Quand j'aurai quitté Paul. Est-ce que j'envisage de quitter Paul ?

Nous continuons à marcher. Au bout de quelques mètres, il me demande :

- Tu l'aimes encore ?

Pourquoi encore ? Ce "encore" sonne mal. Je ne comprends pas ce qu'il vient fiche dans cette question. Nous ne sommes pas un vieux couple lassé l'un de l'autre. Je lui ai déjà dit, ma vie avec Paul va bien.

Bien...

Non. Pas bien. Beaucoup de points sont à régler. Mais on ne jette pas sa moitié quand de petits grains de sable grippent la machine. Et surtout, si oui, j'ai des griefs contre lui, je lui suis aussi tellement redevable. Il est merveilleux. Objectivement merveilleux. A la seconde là, je n'envisage pas du tout une séparation. L'idée me ferai presque rire.

- Oui je l'aime.

Il n'y pas longtemps j'ajoutais même "plus que ma vie". Ce n'est pas sa faute si je suis malheureuse depuis que je l'ai suivi à Bordeaux.

Je n'envisage pas une seconde de quitter Paul, mais je n'envisage pas une seconde de quitter Ethan. J'aurai trop mal.

The way she fallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant