Nuit 3

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La discussion ne mène nulle part. Et je suis à deux doigts de me transformer en glaçon. Je ne comprends pas où il veut en venir.

- Je ne te demande rien.

Je le regarde par-dessus ma grosse écharpe rose. Des brins de laine me chatouillent l'œil depuis un quart d'heure. Je tente de les chasser en vain. Une telle tristesse m'habite.

- Ethan. Ça ne rime à rien ! Je ne peux pas tout recommencer à zéro. Pas à mon âge. Au tien oui, mais pas au mien.

- Arrête avec cette histoire d'âge. Vraiment c'est quelque chose qui te dérange ces années qui nous séparent ?

- Non !

- Tu n'es pas un dinosaure non plus !

Merci bien !

- Ce n'est pas ce que je te dis. Mais les différences d'âge n'ont pas la même signification. J'en aurait 46 et toi 40 je m'en foutrais, mais là tu en as 24 et moi 30 et je sais ce que tu vas vivre dans ce laps de temps. Pendant la vingtaine, tu construis plein de choses. Tu rencontres quelqu'un, tu poses ta vie ! Moi j'ai vécu tout ça ! Toi pas encore. Tu vas évoluer. Tu vas... vouloir des choses auxquelles tu ne penses pas encore, mais tu les voudras. Et moi, je ne pourrai pas te les donner...

Il s'arrête un instant. Me fixe.

- Tu parles d'avoir des enfants ?

- Oui. Et avec moi, ce n'est pas possible.

- Je m'en fous. Je ne veux pas d'enfants, je veux être avec toi.

Brûlant. Sa voix chaude. Je me détourne. Une nouvelle fois je suis incapable, physiquement incapable de soutenir cette tension entre nous. Et dès que je ne cherche plus à le fuir, dès que je me laisse un peu happer, cela me submerge en un instant.

Je m'éloigne et il me suit. Il faut qu'il se passe quelque chose. Qu'une décision soit prise. J'avise une barre en fer qui pourrait servir de banc à la sortie d'un parking. Je pose mon sac à côté et m'y cale, croise mes pieds et balance mes jambes dans le vide.

- Putain, souffle-t-il en secouant la tête et en me regardant étrangement.

Quoi ? Que pense-t-il là ? Je donnerai n'importe quoi pour être dans sa tête. Est-ce qu'il a ressenti comme moi cette bouffée d'attirance quasi-irrépressible ? J'en ai eu l'impression. J'ai eu l'impression qu'il avait envie de se jeter sur moi, mais qu'il s'est retenu en larguant ce "putain". Si je ne me trompes pas, j'espère qu'il va céder à sa pulsion, car si je me suis assise ici, ce n'est pas parce que j'ai mal aux jambes. J'espère juste que si nous arrêtons un instant de marcher, il se rapprochera et franchira pour moi cette frontière qui me coince, me force à regarder mes désirs de loin.

Mais il reste à une distance ahurissante de moi. Il se contente de répéter :

- Promets moi que si un jour tu le quittes, tu nous laisseras une chance.

C'est ce qu'il voulait ? Je n'avais pas compris effectivement sa demande. Je pensais qu'il voulait que je prenne une décision dans la seconde. Ce qui est impossible. Je ne peux envoyer à la poubelle toute ma vie sur un simple sentiment, aussi incroyable soit-il. Ce qui me retient, c'est son côté incompréhensible. J'ai besoin de savoir un minimum dans quoi je m'engage. Ce qui suppose d'apprendre à le connaître.

- Je n'ai jamais été aussi sûr de moi, Sarah. Je sais que je me trompe pas.

Oui, c'est moi qui n'est sûre de rien. Si je l'étais, tout serait déjà réglé. Dans un sens ou dans l'autre.

- Promets, insiste-t-il en plongeant ses yeux dans les miens.

J'entrouvre les lèvres. Laisse passer une seconde. Il ne me lâche pas.

- Promets.

- Oui, soufflé-je.

De toutes façons, lorsqu'il prend ce ton autoritaire en me fixant, je suis incapable de dire non. Plus, il semblerait que j'ai envie d'obéir.

- Tu mens.

- Non.

- Tu promets.

- Oui.

Maintenant tais-toi et embrasse-moi.

The way she fallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant