Ethan

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Champs Elysées - 25 février - 19h


La température a sacrément chuté. La nuit est tombée pendant que nous discutions. Je n'avais pas envie que le temps passe. La conversation n'était pas forcément d'une profondeur incroyable, mais j'aurai tellement voulu comprendre comment il est possible après cinq ans sans revoir quelqu'un d'être à nouveau attirée, de ressentir exactement la même chose, de retrouver le même lien.

Je serai restée toute la nuit assise en face de lui s'il n'avait pas eu d'autres chats à fouetter. Il est resté plus longtemps que ce qu'il n'avait prévu. J'ai eu droit à une demi-heure ? Vingt minutes de rab ? Je le mets sur le compte d'une nouvelle amitié peut-être pour lui maintenant, puisqu'il me découvre pour la première fois en dehors du contexte élève/prof.

Je suis vexée tout de même qu'il décide finalement de partir. J'aurais aimé que lui aussi n'ait pas envie de se poser de questions. Qu'il reste avec moi. Je n'ai pas à ce moment-là une idée précise derrière la tête. Je suis juste triste que ce rendez-vous s'achève. D'avoir perdu ce regard aussi, cet éclat qui m'a frappée une seconde après son aveu.

Il a disparu quasiment aussitôt. Ensuite je n'y ai plus lu qu'une tendresse légère. De celle qu'on peut ressentir pour quelqu'un qu'on découvre et qu'on aime bien. Il me trouve jolie, je pense. Aucun moyen d'en être certaine, mais à trente ans, on se trompe rarement sur l'évaluation physique qu'un homme fait de nous.

Je suis revenue quand même sur cette fin d'année en papier mâché, juste avant son bac. Il était tellement mal. Et ce jour-là, j'étais épuisée. Je m'étais faite larguée la veille en rentrant du boulot après des embouteillages monumentaux. Je n'en étais pas triste, plutôt soulagée en réalité. Malgré tout, je n'avais pas trop dormi. Quatre heures à peine. J'étais dans le brouillard. Les quelques filtres de bienséance que j'arrivais encore à maintenir en sa présence avaient dû sauter.

Il était arrivé à la pause seulement, donc je pensais qu'il séchait et je ne m'attendais pas à le voir. C'était un des derniers cours je crois. Peut-être bien même la toute dernière fois que nous nous serions vus. J'étais déçue de ne même pas lui dire adieu.

J'étais dans la cour devant le lycée. Je me souviens si bien. Chaque détail. Il fait beau. La porte s'ouvre ; il arrive à grandes enjambées, les yeux baissés, un peu voûté, les mains dans les poches. Il porte un pantalon clair et un pull fin à col roulé noir : mon préféré qui dévoile légèrement les formes de son torse.

Il sent peut-être mon regard sur lui, car il lève la tête. Sa mâchoire est crispée, ses yeux vraiment cernés.

Il a pleuré ?

Il n'hésite pas et enfermé dans un silence obtus, il se dirige droit sur moi. Je m'appuie contre le muret ; lui aussi. Si proche. Sa tristesse, sa solitude me frappent de plein fouet, m'aspirent totalement. Je suis dans son âme à ses côtés. Je ressens sa peine comme si elle était la mienne. Il se contient difficilement. Il n'est pas simplement malheureux. Il est en colère. Une rage terrible bouillonne derrière ce visage fermé.

Soudain, il frappe la pierre du poing. Je fixe ses phalanges blanchies. La peau est éraflée par le grain du béton. Il s'est fait mal ce con. Mais il insiste. Appuie encore. On dirait qu'il cherche à se déchirer la peau, souffrir physiquement pour évacuer ce trop plein d'émotions qui déborde et menace de tout emporter sur son passage s'il ne le jugule pas.

Sans réfléchir, je pose ma main doucement sur la sienne. Sa peau craque et j'ai l'impression de ressentir cette douleur aiguë dans mes doigts à moi.

- Ethan, arrête, tu vas te faire mal.

Il renverse la tête, retire sa main. Les yeux au ciel, puis dans les miens.

The way she fallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant