Champs Elysées -25 février -17h
Le temps est splendide. Un jeudi magnifique. Vraiment magnifique. La météo m'avait prédit un froid de canard. Mais en pull seulement, fouillant dans mon sac au pied de l'arc de triomphe, je me trouve particulièrement chanceuse. Mon rendez-vous s'est merveilleusement bien déroulé. Une opportunité en or se dessine pour le développement de ma boîte. J'attendais depuis longtemps que la situation se débloque et c'est enfin le cas. Le partenariat entre ma maison d'édition et cette société d'événementiel est inespérée. Un vrai coup de bluff de ma part qui débouche finalement sur un accord sérieux, je n'osais en rêver.
Un bref coup d'œil à mon portable tandis que je me lance dans une fouille archéologique à la recherche de ma carte d'identité. Mon fiancé a besoin du numéro du document pour confirmer notre week-end en amoureux. Dans trois semaines, direction l'Irlande. J'attends ces quelques jours de coupure avec impatience depuis une éternité. Je travaille trop ces derniers mois. A tel point que Paul et moi sommes parfois à deux doigts de nous perdre de vue. Mais impossible de monter sa propre boîte à juste trente ans sans accepter quelques sacrifices.
Une situation temporaire qui s'éternise. Parce que je le veux bien, je le reconnais. J'ai le sentiment souvent d'être plus passionnée par le développement de ma société que par notre couple. Pourtant Paul est l'homme parfait. Objectivement l'homme parfait.
Impossible de lui reprocher quoi que ce soit. Beau mec, sportif, intelligent, cultivé, aux petits soins. S'il lui arrive d'être intransigeant lorsque je flanche, c'est uniquement par maladresse. Parce qu'il croit en moi plus que n'importe qui sur cette terre et ne conçoit pas que je puisse douter de ma réussite parfois. Or je doute souvent.
Vol confirmé, je raccroche. Je retrouve Ethan dans une demi-heure. Depuis cinq ans, impossible de bloquer un créneau pour nous croiser. Pas réellement d'excuses : la vie tout simplement. L'éloignement. Lorsque je vivais à Paris, nous n'avons pas insisté pour trouver un moment. Depuis que j'ai déménagé, c'est encore plus compliqué. Bordeaux - Paris. Lorsque je fais l'aller-retour pour des raisons professionnelles, j'ai rarement du temps à consacrer aux fantômes du passé.
Ethan...
J'avais 25 ans, lui 19. J'étais son enseignante. Pendant deux ans. Deux années à me battre avec lui à coup de dates et d'enchaînements de faits historiques pour qu'il décroche son bac. Il n'écoutait rien, séchait le lycée, sale gosse. Un sale gosse majeur qui, pendant les rares cours où il était présent, jouait à me regarder avec une intensité telle que j'en rougissais de manière ridicule et particulièrement déplacée.
Impossible de compter le nombre de fois où je me suis retournée vers le tableau en urgence pour dissimuler mon changement de couleur en effaçant des traces de craie imaginaires.
Un élève qui me touchait, provoquait en moi des envies irrépressibles et particulièrement gênantes. C'était plus fort que moi, bouleversant. Mais il était diablement beau. Immense, épaisse chevelure brune en bataille et un regard... Personne ne m'avait jamais regardé ainsi. A tel point que je n'y croyais pas. C'était tellement pénétrant : nécessairement un pari avec les autres gamins de terminale. Ils avaient décidé d'un commun accord de lancer un jeu super : mettre la jeune prof mal à l'aise. Je détestais ça, même si la plupart du temps, c'était plus amusant que déplacé. Les déclarations d'amour grandiloquentes de Jonas me faisaient sourire, mais ce regard là, impossible pour moi de le soutenir. Il allumait au plus profond de mon ventre des émotions d'une violence insoutenable.
Je l'ai haïe de me forcer à subir ce jeu auquel je ne pouvais ni croire, ni répondre, sous peine de perdre mon poste dans ce lycée privé dont j'avais besoin pour payer mon loyer. Mais je lui pardonnais aussi. La vie avait été rude avec lui ; il était parfois au plus bas. Il m'attendrissait tant dans ces instants où il se montrait vulnérable. Il était différent. Et j'étais soufflée par ce qu'il dégageait. Une aura, un charisme. Il était sans le savoir encore de cette race d'hommes qu'on ne peut pas ignorer, qui provoque dès qu'ils posent leurs yeux sur une personne du sexe féminin, un trouble profond.
Il l'ignorait, mais du haut de ses 19 ans, il me tenait, dès qu'il posait ses prunelles chaudes sur moi, totalement en son pouvoir.
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The way she falls
RomansaJe suis congelée. Qu'est-ce que je fiche là ? Je n'aurai jamais dû venir. J'allonge le pas pour me maintenir à sa hauteur. - Ethan, ralentis, je n'arrive pas à te suivre.