Promenade interdite

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Comment nous sommes nous retrouvés près des Champs ? Je n'en ai aucune idée. Mais la situation qui m'échappe m'adresse un pied de nez. Décidément, nous ne suivrons pas le chemin que j'ai envisagé, dans Paris comme dans la vie.

Cette fois, j'ai proposé un café. Je vais être honnête. J'espère un rapprochement. Plus facile de franchir le pas assise à côté de quelqu'un sur une banquette que dans la rue.

Mais dans ce quartier ultra-chic, il n'y a que des brasseries de luxe. Nous finissons par jeter notre dévolu sur un minuscule endroit. Lumières roses ultra kitches et une sorte de réunion de famille bruyante.

- Est-ce que tu préfères qu'on aille ailleurs ?

- Non, ça me va.

L'heure tourne. Il doit retrouver un ami à lui ce soir. Hors de question de perdre plus de temps. Cet endroit fera parfaitement l'affaire. De toutes façons je m'en fous. Ici ou ailleurs, la seule chose qui compte c'est être au chaud, à côté de lui et voir où la proximité nous mène.

- Attends.

Il me retient alors que je me dirige vers une table libre au fond.

- Tu ne préfères pas dehors ?

Je jette un œil à la terrasse chauffée. Tout ce que je déteste : quelques tables au bord des voitures. "Non, je préfère m'installer sur la banquette pour être proche de toi. Et si jamais tes mains en profitaient pour glisser sur moi ce serait parfait."

- Ok.

Parce que vraiment, je ne peux pas dire ça. Et je n'ai aucun argument pour justifier une préférence pour cet intérieur archi bruyant.

Nous nous installons. Les deux tasses de café qu'on pose devant nous sont minuscules et coûtent trois fois plus cher qu'à Bordeaux. C'est ridicule.

- Tu as froid ?

J'évite ses yeux bruns.

- Non. Ça va.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- Vraiment ?

- Oui, j'en suis vraiment sûre.

C'est gentil, mais lorsque quelque chose ne va pas, je le dis franchement. Je n'ai pas l'intention de me geler en silence.

Ses grands doigts pianotent sur la table. Il approche sa main.

- Je t'ai vu ! plaisanté-je.

Il sourit, craquant. J'ai très bien compris son intention. Mais décidément, ici, je suis trop mal à l'aise. Je viens de me souvenir qu'un des amis proches de Paul travaille tout près. La crèche de ses enfants est dans le coin. Je ne peux m'empêcher de surveiller la rue. Et si lui ou sa femme nous croisaient ?

Je ne suis pas à l'aise. Et lorsque l'heure de nos séparer arrive, je n'en ai pas envie, mais en même temps, je suis soulagée de quitter le quartier.

- Tu me raccompagnes au bus ?

- Ok.

De nouveau nous sommes dans la rue en mode marche rapide. Décidément. Je n'ai jamais autant marché de ma vie entière. Ma nervosité a progressivement été remplacée par une sorte de tristesse diffuse qui m'engourdi.

C'est fini. Il va grimper dans ce bus et moi demain, je rentre chez moi. Je n'aurai pas réussi à céder. Tant mieux. Paul mérite que je lui reste parfaitement fidèle. Mais c'est dur. Ce lien entre Ethan et moi est tellement puissant.

Station de bus. Il m'ouvre ses grands bras.

- Un câlin.

Je secoue la tête et recule. Coup d'œil nerveux à la rue.

- S'il te plaît. Tu ne reviens que dans un mois. Je te promets, pas plus qu'un câlin. Laisse moi te prendre dans mes bras.

- Ethan, non.

Ses doigts tentent agripper ma manche. J'esquive. Il fait quelques pas nerveux, passe ses mains dans ses cheveux épais, les ébouriffe.

- T'es dure.

Il se rapproche doucement. Une inconnue nous rejoint sous l'abris-bus. Il m'attire de l'autre côté du panneau publicitaire.

- Sarah. Je ne te demande rien d'autre que rester dans mes bras un petit moment.

J'ignore si c'est à nouveau lui qui m'a attirée contre lui ou si j'ai avancé d'un pas. Mais je suis contre lui. Le nez dans son manteau. Il est si grand. Mes bras sont croisés contre ma poitrine pour empêcher nos corps de se toucher.

- Sarah, souffle-t-il. Un vrai câlin. Je te veux contre moi.

C'est trop. J'ai peur. Je m'écarte brusquement.

- J'y vais.

Je recule d'un pas. Il ouvre ses yeux bruns chaud, étonné.

- Attends, tu n'attends même pas le bus avec moi ?

Je secoue à nouveau la tête, me planque dans mon écharpe comme une ado. Ça y est, je m'enfuis.

- Sarah, lance-t-il. Il est là dans deux minutes.

Je secoue encore la tête et m'éloigne.

- On se voit en mars ? insiste-t-il, le visage soudain si triste que cela me prend aux tripes. Il faut que je parte d'ici. Sinon je ne tiendrai plus.

J'acquiesce et me retourne. Je courrai si je le pouvais. Je ne me retourne pas. Au bout de quelques pas, mon téléphone vibre dans mon sac. Je ferme les yeux une seconde. C'est lui, je le sais. Je garde les bras croisés contre moi. Je ne lirai pas son message. Pas avant que cette boule dans mon ventre ne se soit dénouée. Pas avant que je sois assez loin de lui pour ne plus pouvoir reculer.

Nouvelle vibration.

Un bus passe à côté de moi. Une silhouette floue plantée devant les portes vitrées. Est-ce lui ? Je n'y vois plus clair. Je n'en suis pas certaine.

Pas envie de prendre le métro. Je préfère marcher. Marcher jusqu'à m'effondrer d'épuisement.

The way she fallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant