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Sous le regard insistant de la lune et de ses compères les étoiles, je m'arrête au même endroit que hier ainsi que avant-hier. Depuis un an, ce banc est devenu un rituel sacré entre lui et moi.

Ce banc n'est peut-être que matériel d'un point de vu externe, mais il représente beaucoup pour moi, tellement de souvenirs s'y émergent. Comment peut-on donner autant d'importance à un objet qui de base, se doit d'être aussi quelconque ? Ce banc est comme les relations humaines, on ne le remarque pas au premier abord car trop similaire aux autres et pourtant, sa petite rayure sur une partie de son bois à gauche le fait se distinguer. On s'y intéresse, jusqu'à ce qu'un autre banc parvienne à capter notre attention par une autre rayure et puis, pourquoi celui là et pas un autre ? Jusqu'à ce qu'on réalise que justement, celui là n'avait pas simplement sa rayure mais également ses souvenirs, un bout de chacun de nous ancré dans son bois.

Le cadran de ma montre indique minuit, pile a l'heure.

Je m'assois délicatement sur le banc blanc où nos initiales sont inscrites. K.L.

- Tu me manques.

On peut dire que cette nuit les étoiles brillent d'un éclat mystérieux. Ce qui se fait de plus en plus rare ces temps-ci à cause du temps qui se vaut être tourmenté. Toutes ces magnifiques lumières qui bougent et s'éteignent au fur et à mesure, toutes ces belles choses de la nature qu'il ne verra plus.

- Il fallait que tu t'éteignes à ton tour.

Maintenant vous comprenez bien pourquoi je viens ici le soir, quand personne n'est plus là pour m'entendre discourez sur ma vie. Je ne veux pas qu'on me prenne pour une cinglée, une pauvre fille fêlée qui ne sait plus ce qu'elle fait ni où elle va. Je sais ou je vais, mais je ne sais simplement pas comment y aller. Luke savait. Il était mon guide, mon partenaire de vie. Il était tout pour moi.

Luke. C'est son nom. Il est mort il y a un an maintenant. Nous venions à peine de nous fiancer quand une voiture l'a percuté de plein fouet, sans un retour arrière, sans une possibilité de le sauver. La vie est injuste, n'est-ce pas ? Sa famille étant aisée, ils ont su retrouver le coupable et le condamner pour son crime. Quant à moi, je suis retournée à ma vie d'avant, quittant notre bel appartement, qui en réalité était plus le sien, pour retrouver le mien dans une banlieue pauvre et peu assurée de New York. Chassez le naturel, il revient au galop comme le dit si bien la citation.

Je souffle bruyamment et verse une larme.

- C'était ma dernière larme sur ce banc, comme promis. Je continuerais de surveiller les étoiles en espérant y percevoir la lueur de tes yeux. Je te remercie de m'avoir aimé, Luke. Puissions-nous nous retrouver un jour.

Je me lève et reprends la route en direction de mon appartement. J'y croise quelques passants me dévisageant, les yeux gonflés et le nez reniflant l'air frais du soir. Je me fais la réflexion que j'aurais mieux fait d'apporter des mouchoirs avec moi ce matin avant de partir au travail. Mes pensées étant toujours en ébullition, je ne remarque même pas que je suis arrivée devant mon immeuble.

Je ne suis pas surpris de voir la troupe de jeunes, attendant devant les escaliers sur des scooters et observant les horizons. Ils ne font rien de mal et pourtant n'importe qui n'étant pas habitués à ce climat s'amuseraient à les condamner en un rien de temps. Je les connais presque tous. Nous avons grandi ensemble. Ce sont mes amis. Ils ont à peu près le même âge que moi à quelque différence près. Issa, mon meilleur ami depuis l'enfance s'approche de moi, posant sa main sur mon épaule d'un geste réconfortant.

- Je commençais à m'inquiéter, Lee.

Quelque chose me dit que ce petit comité d'accueil m'attendait.

- Ne t'en fais pas, tu n'auras plus à t'inquiéter pour moi. C'était notre dernier au revoir.

Ce banc avait une place particulière dans mon esprit, c'est ici que nous nous sommes rencontrés. Je lisais un livre et lui le journal, je me souviens encore de sa réflexion stupide sur le score du football et sa façon de critiquer ce joueur que j'aime tant. Nous avons débattu sur l'équipe de foot de New-York pendant des heures, jusqu'à ce que le sujet dévie et que nous parlions de nos vies. Nous n'avions même pas remarqué que les premiers rayons des lampadaires commençaient à apparaître et à nous entourer d'un halo jaune réconfortant.

Issa me prends dans ses bras et me frotte le dos de façon amical. Il n'a jamais été très doué pour les câlins.

- On se disait avec Luke qu'une fois que l'un de nous sera mort, l'autre irait se recueillir sur ce banc. Bien plus chaleureux qu'une tombe. On y déposerait pas des fleurs mais des sourires, des souvenirs, des larmes de joies et de tendresse.

I : - Vous aviez une drôle de façon de voir l'amour à travers la mort.
- Non.. C'est juste qu'en se fiançant, on parlait des promesses notamment celle de s'aimer dans la vie mais dans la mort aussi. Alors, on s'est dit ça. C'était notre plus belle promesse, mais aussi la plus triste.

U S U R P A T I O N - TBSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant