III

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« C'est au nom de toute notre communauté que je vous dis merci, merci pour votre action, et que Dieu vous garde. God be with you ! »


Applaudissements mesurés. Le prêtre, chemise à carreux bien rentrée dans le pantalon, marron moule bite, et évidemment snickers New Balance – made in America- car le prêtre du 21eme siècle est moderne. Tradition et modernité ; rock chrétien tendance hipe underground, chant de l'amour de Jésus sur guitare électrique et ampli Marshall, ou l'amour du manitou en collectant string mouillés de groupies abstinentes torturées par l'espoir de se faire pouiller par Jésus ressuscité. Un vrai. Moderne qu'on vous dit. Au four et au moulin, une messe par ci, un événement culturel par là. Le prètre Fitzgerald, c'est le coeur de la communauté. Une oreille attentive pour les confessions, une main offrande pour les pauvres, le sourire aux lèvres, toujours, bright smile. Alors, un petit apéro-dinatoire dans le jardin du père, c'était la récompense ultime. D'ailleurs, il lui remit une superbe enveloppe décorée de petites fleurs colorées peintent en aquarelle par Mme. Price, cul bénit notoire et jamais la dernière pour saouler Jésus de ses prières.


Il l'ouvrit : « Merci, je ne sais pas quoi dire ! ».

La vieille Ducan, sans jamais rater l'occaz de lécher le prêtre lui rétorqua : « C'est nous qui vous remercions ».

Applaudissements.

Les conversations allaient bon train sur l'engagement de cet homme pour la protection des pauvres âmes torturées, pièces déformées de l'Oeuvre Divine. Tous s'accordaient à dire qu'il était superbe qu'un homme lui-même mis à l'épreuve par la rudesse de Dieu ait trouvé dans la charité un moyen de surpasser son handicap. Car, profondément, ils flippaient à la vue de cet homme dont le corps accumulait ce qui s'apparentait à un acharnement de la Création. Heureusement, il y a le corps et l'esprit. L'un pouvait être à gerber et l'autre resplendissant. Alors, lorsque le député McConnan avait commencé son service auprès des « enfants » toxicomanes de la communauté, tous y avaient vu le signe de la Miséricorde Divine. Reste que, tous, aussi bons chrétiens qu'ils étaient, évitaient de trop s'approcher de l'abomination. Il y avait quelque chose de malsain dans la démarche boiteuse, la face porcine du représentant de l'ordre.


Pour ce dernier cependant, le travail avec les toxicos était une bénédiction. Il y avait vu une opportunité ; une double opportunité même : d'une, se retrouver face à des meth head défoncées prêtes à tout pour une peu de crack ou de coke...une manière bien à soit de se sentir en position de contrôle, et puis, c'était le moyen de rendre la monnaie de leur pièce à tous ces enculés de culs-bénits soit disant chrétiens. Alors, il avait proposé au père Fitzgerald de créer un groupe de soutien.


A la première réunion, deux paumées s'étaient pointées. La première, Jane, était vite décrite : un tas d'os, les yeux enfoncés dans les orbites, cheveux gras collés sur la partie gauche de la tête quand l'autre côté, rasé, laissait entrevoir des croûtes probablement dues à des parasites bien installés. De belles plaies bien purulentes qui suintaient sous gras. La deuxième, Marie, pouvait se résumer à ce qu'elle n'avait pas, ses dents.


Ca avait été vite fait, bien fait. Un peu de crack détourné d'une saisie facile sur un blanc bec bourgeois du quartier pour donner leurs doses aux deux déchets de la réunion tandis que lui assoyait son emprise sur ces deux misérables esprits dont la capacité intellectuelle se résumait à trouver un moyen de se fournir de quoi se péter la gueule. Le pacte était noué, un peu de crack à la réunion anti-drogue contre un silence sur la pratique et un paiement en nature.


McConnan était un pervers, un vrai de vrai, un tordu. Qui a déjà cherché le mot pervers dans un dictionnaire comprendra vite le caractère du mec. Donnons tout de même : « 1 -qui est enclin à faire le mal et le tente par des moyens détournés. 2- Dont les instincts sexuels se manifestent par un comportement anormal ». En partant de cette définition, on pouvait légitimement penser que c'était un pervers dans tous les sens du terme.


Ce qu'il aimait, c'était entendre le bruit des os péter, la détonation sourde de la fracture, le craquement du corps qui se délite, les tendons se tordre jusqu'à claquer comme des élastocs, les articulations se retourner jusqu'à la dislocation. C'était aussi la chair, le bonheur de la voir à vif, céder sous les coupures hasardeuses mais tranchantes d'un Leatherman bien aiguisé. Un corps, pour lui, c'était un steak, un bout de viande qui se « travaille ». Il se considérait comme un trappeur, le respect de l'animal en moins.


Alors, le paiement en nature pour lui c'était du cul mais à sa manière. Lorsque les deux étaient parties dans d'autres mondes sous l'effet du crack, il incisait les bras et les jambes et y introduisait ses doigts pleins d'urine et d'excréments pour y toucher la bidoche. Il la touchait et sentait le rythme violent du sang affluer. Quand les deux deux déchirées plainaient dans le coma misérable de leurs piqûres, il grattait la peau, la retournait, s'amusait avec les outils intégrés de son Letherman. Il avait acheté un modèle OHT Black multifonction avec 16 outils tous plus utiles les uns que les autres allant du tourne-vis plat à la clé pour réservoir à oxygène. Un bel outil, plein de ressources, qui s'adaptait parfaitement à son nouveau passe-temps. Il avait trouvé un usage pervers à chaque outil, qu'il consignait minutieusement dans son carnet « d'artisanat pratique ». Il avait fait de superbes découvertes : qui eut cru que le décapsuleur serait plus efficace que la pince à bec effilé pour retourner des ongles ? Que l'ouvre boite ferait de si beaux motifs - « impression dentelle » ?


Autant dire que McConnan, finalement, sous son apparence répugnante ne cachait pas un esprit lumineux. Dit-on : un esprit sain dans un corps sain ? Là c'était la maxime inversée : esprit infâme dans un corps ignoble.


L'arrangement avait duré deux bons mois jusqu'à cet apéro que père Fitgerald avait organisé pour le féliciter de son travail « admirable » pour la communauté. Une telle réussite, dit le père, des accros qui se disaient heureux des réunions, car il avait enquêté, était une victoire sur les forces démoniaques.


Cependant, un malencontreux qui aurait vu aux alentours des 21 heures la scène qui se déroulait dans l'annexe de la chapelle latérale de l'Église du Saint Sauveur, aurait probablement cru voir un remake animalier et trashy du Sodom et Gomorrhe moderne. Un truc à faire tourner de l'oeil. Le fruit de tous les immondes de l'humanité. Contre nature, dans la maison de Dieu, qui devait d'ailleurs repeindre sa barbe du vomi incontrôlé que cette scène faisait monter aux lèvres.


McConnan avait donc, avec le soutien tout chrétien de la communauté, continué ses activités dans la plus grande tranquillité. En effet, les membres de la paroisse, n'étaient que bien trop heureux de ne pas avoir à s'occuper de pouilleux et n'étaient donc pas regardant sur ce qui se passait dans ces réunions de la «seconde chance ».


McConnan vivait sa passion, les toxicos avaient leurs doses – peu en importait le prix - , que demander de plus au bon Dieu ?

Trash AmericaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant