Il lui avait fallu deux jours pour se remettre de sa soirée au Dance Baby et de sa nuit avec une Beth plus animale qu'un pit en état de privation. Après le combat, il n'avait pas ramené Beth chez elle, mais chez lui – advint ce qui devait – avant qu'elle ne disparaisse avec l'arrivée du jour. Il avait passé ses journées à vaquer à ses occupations, profitant du Memorial Day, jour férié dédié à tous ces miséreux et crevards, bouches trous qui servent de bidoche écervelée à l'Oncle Sam. Le Memorial Day, il chiait dessus. Patriote, oui, toujours, mais pour ce que l'Amérique avait de grand : sa liberté, sa créativité, sa force, ses différences, ses contrastes, sa mécanique, sa fierté, sa richesse, son ouverture, sa folie, sa noirceur et sa saloperie de tristesse. Mais pas pour ces bâtards de militaires. L'armée était la porte de secours, le refuge inespéré des perdus, marginaux et paumés, tous ceux pour qui la ville et l'État n'avait rien à offrir. L'armée c'était l'hypocrisie en uniforme avec médailles et tout le bling-bling des mecs impuissants qui se la pète. Elle vit sur la misère du monde, récolte les fruits d'une administration qui cultive la pauvreté. Les fruits pourris utilisés comme engrais à la misère.
Il était pas rare de croiser d'anciens visages perdus de vue depuis quelques années, qui portaient sur eux les stigmates d'une aventure guerrière. Toujours la même histoire : un futur bouché, un quartier qui bouffe une vie et le leurre d'un meilleur futur en s'engageant ; de beaux mots : défendre la patrie, la liberté en allant tailler des ennemis invisibles dans des déserts lointains. Et surtout, un retour à la case départ, une jambe ou deux en moins, une jeunesse niquée et un futur à pousser des chariots. Les recruteurs de l'armée faisaient leurs rondes dans le quartier choppant au coin d'une rue les pommés illettrés, et, tout en les cajolant, leur faisaient signer cinq années d'enfer dans des camps merdeux avec la raclure ramassée dans tous les ghettos d'une Amérique en dislocation. Une vie, ça ne tient à rien : un bic mâchouillé, un porte-bloc avec fermeture pincette, une signature et la connerie.
Une porte de secours vers une vie de merde. De jeunes pommés ils passaient à jeunes niqués à syndrome post-traumatique délirants et trouvant, ultime exit, dans la came le salut tant recherché.
Alors lui, le Memorial Day, il leur collait au cul. Le drapeau, il ne le sortirait pas, il l'avait dans le coeur, l'Amérique chevillée au corps, et ces enculés de militaires, il leur pissait dessus.
Il était donc resté tranquille, histoire de se ressourcer et d'éviter les cons, les commémorations et les défilés.
Il en profita pour faire le tri dans les dizaines de courriers qui étaient arrivés ces dernières semaines. Entre factures, prospectus et autres merdes, la moitié était destinée à sa mère. Lui vivait au deuxième étage d'une maison séparée en trois, où, après l'appartement de la Fitzgerald Street, ils avaient déménagé pour plus d'espace et un jardin communautaire qu'il fallait partager avec Jeff, le propriétaire du premier, et John et Cathy, les enculés de hippies du dessus. Maintenant il y vivait seul, sa mère avait quitté les lieux deux semaines après sa rencontre avec Mike, cela faisait déjà trois ans – sans suivi du courrier.
Jeff, le propriétaire, était probablement l'homme le plus sain et normal à des kilomètres à la ronde. Ancien ouvrier d'une usine de motos des environs, il avait vécu plus de 50 ans dans cette maison et ne cassait les couilles à personne. Même pour des loyers en retard ou jamais payés. Il filait volontiers un coup de main pour réparer et améliorer la Victory ; la méca c'était sa passion, une obsession. Tommy ne lui demandait jamais rien, mais le matin, au réveil, il savait que le vieux, il devait avoir dans les soixante- quinze ans, avait récuré avec minutie les chromes de la bécane.
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Trash America
Mystery / ThrillerDans une Amérique en dislocation, un jeune homme, Tommy Beau, tente de se sortir d'un monde violent , celui d'un ghetto où la loi du plus fort prévaut. Abandonné par ce qui lui reste de famille, il ne survit qu'à la force de ses poings et de ses con...