XII

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Il suffisait d'être au mauvais endroit au mauvais moment.

 Ça lui trottait dans la tête. Avec les flics, comme dans la vie en général, un coup de malchance et tout pouvait partir en vrille. Pas le destin, des coïncidences, plutôt. Il y a des personnes pour qui les coïncidences sont nettement plus régulières que pour d'autres ; des chanceux et des poissards. A se demander si on était la merde ou la mouche. Sa mère faisait partie de cette catégorie ; ces personnes dont on ne sait si leurs existences merdeuses ne faisaient qu'attirer encore plus de malheur. Un trou sans fin, a storm of shit. Sa mère se retrouvait encore dans une situation impossible : il en était presque sûr, sa disparition s'expliquait par la descente du Shérif dans la baraque à junkies de Park Street. Elle avait dû se faire arrêter avec les drogués : mauvais endroit, mauvais moment... Restait plus qu'à espérer que le bureau de Shérif serait clairvoyant ; ça le laissait dubitatif. Ici, comme ailleurs, la politique anti-drogue faisait des ravages, être associé de près ou de loin à du trafic ou de la consommation de crack c'était cinq années de taule minimum. Une autre aberration du système. Les durcissements réguliers de la législation répressive sur les drogues avaient créé une structure absurde où l'on emprisonnait des générations entières – des minorités, il en va sans dire – derrière les barbelés carcéraux. Quoi que l'on en dise, peut importe le nom d'ailleurs : prison, centre de rétention, mitard, bagne, lieu de privation de libertés, centre pénitentiaire, prison de haute sécurité... peut importait le nom, ça restait ce que c'était : des camps.

On marchait sur la tête. Un kinder de contrebande c'était de la prison avec sursis, pisser contre un arbre de l'exhibitionnisme... Le crack, la drogue du pauvre est l'ennemi public numéro 1. Une aberration sans nom quand on sait que le crack, consommé par les populations les plus pauvres, est aussi la substance qui expose ses consommateurs aux plus sévères jugements. Entre cinq et quarante ans pour 50g... La coke, quant-à-elle, drogue de la classe moyenne et des putains de riches est plus acceptable...et donc moins pénalisée. Une saleté d'apartheid financier. C'est comme ça qu'on se retrouvait avec toute une partie de la population derrière les barreaux. Un truc de fou.

La justice est aveugle, mais il lui reste l'odorat, et le pauvre, le crevard, elle le sent à des miles. Lorsque sa mère serait déférée devant le tribunal, elle sentira le parfum cheap, l'odeur de l'indienne dévoyée cumulant les tares – minorité pas sensible, pauvreté et un sacré passé de pute – elle prendra cher.

Ce qu'il lui fallait pour l'instant c'était des certitudes, savoir. Savoir ce qu'il était advenu de sa maternelle, aussi dégueulasse qu'il en soit. Il s'était donc dirigé d'une roue ferme vers Park Street à la recherche d'une piste, d'une trace, aussi mince soit-elle.

Devant le bâtiment il avait vu les scellés arrachés et n'avait pas hésité à entrer suivant jusqu'à la cuisine le bordel laissé par une intervention policière qui n'avait pas dû être délicate. Le peu de meubles présents avaient été renversés, des gouttes de sang éparses tachetaient les carreaux et le linoleum crasseux des différentes pièces. Un déchaînement de violence qui avait laissé derrière lui un silence étourdissant, une tempête qui avait tout ravagé jusque dans la cuisine où les placards avaient été ouverts sous les mains gauches de la fouille systématique.

La cuisine avait été ravagée, retournée entièrement , les verres et assiettes jetés avec fracas au sol, une lourde table en bois, étonnamment raffinée pour un tel endroit, avait été balancée entre le frigo et la petite fenêtre guillotine formant une barricade infranchissable qui bloquait l'accès au coin gauche de la pièce. Le sol, jonché des matériaux explosés était collant, l'odeur nauséabonde mélangeait les senteurs des liquides croupis et séchés, les effluves de pisse et de merde que les camés avaient lâché dans la surprise du raid. Dans la chaleur de mai, les odeurs attaquaient à la gorge, comme un vieux relent d'ammoniac, prenaient les narines et Tommy dû se recouvrir le nez d'un tissu ; la gerbe lui brûlant déjà l'œsophage des remontées acides qui se présentaient à sa bouche. La descente avait eu lieu deux jours auparavant mais la canicule avait fait vieillir précocement la scène ; intemporelle.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 16, 2016 ⏰

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