Trash America

IV

Dans la salle de conférence du bâtiment abritant les locaux de la police, le Shérif Ducan, télécommande à la main, faisait passer des diapos. Il s'était senti obligé de présenter le plan d'intervention avec des images, car lui-même s'en rendait bien compte, ses députés n'étaient pas des plus malignes. En fait, ils étaient carrément abrutis. Avec les cons, y'a du positif. Les cons, ça ne pense pas ou ça pense mal. Il avait donc préparé une présentation avec images explicatives. C'était navrant :

- Donc, on descend dans Park Street - diapo de Park Street – et on va chopper ces putains de meth head – diapo d'un mongol à rasta, pipe à la main, T-shirt Bob Marley noir.

Il n'y avait rien de compliqué, une sortie dans un bâtiment notoirement connu pour le trafic, deux ou trois mâchoires déboîtées à coup de crosse de flingue. Pour l'occasion, il avait sorti de son étui son révolver Smith and Wesson modèle 29 avec incrustation que lui avait offert son oncle, lui-même Shérif – RIP. Une vraie pièce d'art. L'oncle y avait fait graver les contours des montagnes de son Montana d'origine. Sous sa paume il sentait le relief des monts au bas desquels il avait grandi et qui restaient imprimés dans son esprit. Il aurait pu les dessiner les yeux fermés. D'ailleurs, pas une seule nuit ne passait sans qu'il ne s'endorme en essayant de se remémorer les moindres lignes de son paysage natal.

Bref, quelques arrestations de putains d'édentés qui prendront 10 à 15 ans et le mois serait fait.

Ca risquait d'être fun. Avec les semi-clodos des baraques à dope il y'avait toujours du beau monde qui opposait pas trop de résistance. On pouvait y aller et se faire plaire plaise. Old School Style. A l'époque, c'était même un concours avec promotion à la clé : dans les sorties, on récoltait les dents qui sautaient, après on classait :

- Incisives : 1 point

- Canines : 1 point

- Prémolaires : 2 points

- Molaires : 3 points

Record à battre : ex-deputé Morgan, 23.

Un déglingué, légèrement acharné : 3 molaires pour 9 points, 4 prémolaires pour 8 points et un combo 4 incisives frontales et 2 canines. La dernière, il l'avait arraché de ses mains. Putain de crâmé le gars. Lui, ce jour là avait fait qu'un 12, décevant. Margan, l'enfoiré 23... et sur le même crevard. Il avait trouvé le seul mec qui avait encore toutes ses dents. Lucky Bastard ! Surnom qui lui avait collé à la peau. Il était devenu Shérif en peu de temps, bon résultats à l'appui.

Aujourd'hui c'était plus la même. Johnson, un bon père de famille, enfoiré de classe moyenne chiant à mourir qui fouette vite fait les genoux à coups de tonfa et McConnan, un bon à rien, cas sos autiste qui essayait de son mieux à péter quelques mains mais qui préférait de loin regarder. Y'avait plus la même dynamique au bureau. On s'emmerdait sec.

McConnan était un spectateur de la violence, un malsain de la mirette. Ca ce notait au surplus de sueur qu'il produisait quand un membre était pété. McConnan, mieux valait l'avoir prêt de soi. Ce mec, il était pas très très net. Mais au moins il disait jamais non, passif-actif...

Dans la baraque des drogués se trouvaient un dizaine de junkies aux têtes ravagées. Les trois représentants de l'ordre ne prirent pas longtemps pour défoncer la porte d'entrée. Ducan y allait pas de main morte, avant même de contrôler si la porte était effectivement barrée, il avait dégainé son revolver Smith et Wesson 29. Ca faisait un bien fou de sentir le recul du flingue du tonton. Il se sentait bien. Lorsque le coup était parti il avait revu les images de son enfance dans le Montana, les séances de tir avec son père et son oncle. Les parties de chasses au Grizzli au pied de la Going-To-The-Sun Mountain. Il aurait presque pu sentir l'odeur grisante des grands espaces si l'atmosphère n'avait pas été polluée par des relents de sueur et d'excrément. Ca puait la merde, ces enculés de meth head se chiait dessus en direction des nuages. Dans le jargon on disait qu'ils se délestaient. Tellement perchés qu'ils contrôlaient plus rien. Autant dire que le Montana était bien loin.

Ils avaient rapidement choppé les trois premiers qui avaient tant bien que mal essayés de se casser en rampant. On avait échangé quelques coups ; d'un ennui mortel. A peine un lobe d'oreille arraché par un coup de crosse mal placé. La crosse avait ripée sur la dread beurrée d'un comateux. C'était déjà ça. Il aimait l'idée que les courbes incrustées des montagnes du Waterton Lakes National Park de sa crosse aient rendu le sentiment de l'Amérique, la vraie, à ce petit fils de pute. Quitte à se prendre un coup dans la gueule, que ça soit au moins un coup made in Montana. Se prendre ces montagnes dans la gueule, c'est se manger l'Amérique dans les dents. Ces putains de drogués étaient la raclure de l'Amérique et il était là pour le rappeler.

Revenus sur le parking où ils avaient garé leurs Pick-Up GM :

- Johnson, mets ces deux là à l'ombre. Retourne à la station et fais-moi la paperasse.

- Okay Shérif.

- McConnan, tu restes en planque le temps de voir si d'autres bâtards ont pas la bonne idée de venir se ravitailler.

- Oui, chef.

Le Shérif eut un haut le coeur. Putain que ce McConnan pouvait être répugnant. Lui parler, c'était boire la tasse dans une station d'épuration.

- Moi je ramène cette grosse salope ».

Il prit la femme par les cheveux et lui dit :

-T 'es qu'une grosse salope hein ! Sale cochonne, tu vas prendre cher, petite pute. Avant de commencer à lui énoncer ses droits:

- T'as le droit de fermer ta gueule et si tu l'ouvres je te pète les dents. Tout ce que tu diras sera utilisé pour que tu passes ta vie de merde de toxico dans une putain de cellule où tu seras la raclure des raclures.

Alors que le Shérif faisait entrer la femme dans la voiture, elle essaya de se débattre. Ducan lui prit le cuire et claqua la face sur la carrosserie du truck. La fille tomba raide sur la banquette.

- Tu vas plus me casser les couilles salope hein ! Plus rien à dire hein.

McConnan suait. Johnson riait en faisant rentrer ses deux interpellés dans son propre véhicule.

Y'avait rien à dire, l'air du Montana, ça lui manquait.

McConnan était resté en planque sur le parking en face de l'immeuble des junkies.

Dans son pick-up il gardait un œil distrait sur l'entrée de l'immeuble dont la porte était volontairement laissées ouvertes. Il préférait se concentrer sur l'aiguisage des lames de son Letherman. Ce soir, il avait réunion avec le groupe de soutien, et il sentait déjà le désir monter en lui. Toutes les cinq minutes il essayait ses lames sur le cuir gris de son volant. Il avait acheter un couvre-volant cuir spécial fait artisanalement et sur mesure pour conserver l'odeur de la peau tannée. Ca lui rappelait la chair.

Alors qu'il vaquait à cette très prenante occupation, il vit du coin de l'oeil une femme s'approcher de la maison, faire un aller-retour de la porte au croisement de la rue puis revenir devant l'entrée. Une blondasse, dans les 40, talons hauts, pantalon slim tombant sur les chevilles et manteau en fausse fourrure. Une pute probablement.

La femme entra rapidement dans l'immeuble.

McConnan replia délicatement son Letherman, le fourra dans sa poche et se décida à la suivre.