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Il abattit avec force et fracas le store métallique de la devanture du Deli qui laissa apparaître une multitude d'autocollants allant de groupes de Rap merdiques aux stickers de revendications identitaires. On y trouvait aussi différents messages écrits de mains fébriles : graffs, insultes aussi recherchées qu'élégantes, bites, numéros d'ex.

Le vioc lui avait demandé de fermer le magasin histoire d'être pépère pour sa partie de poker dans l'arrière boutique. Une fois par mois, le Rick organisait avec des potes du quartier une partie de carte avec mise de 20 dollars, max. Pas grand-chose, un prétexte pour se retrouver.

Il y avait assisté une fois, et putain là-dedans c'était l'Amérique, la vraie, pas celle de la Silicon Valley avec ces petits péteux à converse qui conduisent des Prius. On y retrouvait des Irlandais, des Afro, des Asiats, des Portugais (des Açores – il fallait préciser) des Mexicains, pas mal de Serbes et tout ceux qui avaient traversé le monde pour se retrouver dans un ghetto merdique.

Les parties de poker de Rick, c'était un arche de Noé. Des petits, des gros, des intelligents, des cons, des sacs d'os, des obèses...Y'avait de tout, mais tous des crevards. Tous des putains d'éclatés par le système : des petits manchots, des grands boiteux, des intelligents tétraplégiques, des cons borgnes, des sacs d'os unijambistes, des obèses tuberculeux. C'était l'Amérique. Celle qui, fière de son modèle multiculturaliste écrase les pauvres immigrés par un putain d'apartheid économique. En fait, chez Rick c'était l'arrière boutique de l'Amérique blanche ; toutes ces petites mains diverses qui se pètent la santé à construire un système qui les bouffe, dans l'espoir de pouvoir se payer une sécu qui les redresserait. Cette Amérique qui se défonce la gueule à coup de Bud light et de coke parce que les médocs sont trop chers mais aussi pour oublier qu'elle n'arrivera jamais à atteindre l'injonction de bonheur de l'American Dream. Keep Smiling. Enculés.

Les parties de carte chez Rick, c'était la cour des miracles. En entrant dans les 15 m² de l'arrière boutique, on oubliait sa vie de merde. Il y a quelque chose de réconfortant à savoir les autres aussi bas que soi.

Avant de fermer le store, il avait vaguement entendu la conversation qui animait toute la communauté : une sortie de flics dans une baraque de meth head ou crack head – dans la Park Street. Trois arrestations, un peu de grabuge et des scellés sur la porte d'entrée. Tous s'accordaient à dire qu'en face d'un parc pour enfants ça la foutait mal. Il ne prêta pas plus attentions à la conversation et était allé fermer le magasin. Des vieux qui parlent de keufs, ça pouvait que tourner facho.

Une fois le magasin bien bouclé, il enfourcha sa Victory et se mit en route pour le Dance Baby.

Arrivé sur place, il gara sa bécane à côté des autres américaines. Le parking était éclairé de la lumière des néons de l'enseigne et par la forte lueur que projetait la bimbo à poil qui clignotait dans un léger grésillement. Deux mecs étaient en train de se vider la poche à pisse sur une Suzuki qu'un blaireau avait eu la mauvaise idée de sortir pour aller au Dance Baby. Ici, on déconnait pas avec la mécanique, ni avec la patrie.

Tommy balaya d'un rapide regard le parking et constata avec un léger sourire que du sable, une bonne quantité, avait été jeté sur l'endroit où avait baigné, quelques jours auparavant, le corps laminé de cet enculé de voleur. Tout ce qu'il espérait maintenant, c'était qu'un chat plein de vermines vienne chier sur l'amas de sable.

Trash AmericaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant