Chapitre 2

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Le seul élément à charge indiscutable était le registre retrouvé dans les archives du Reich où son nom apparaissait à plusieurs reprises.

Le juge n'avait cité aucun élément à décharge.

Dans les plateaux de la balance de la justice, il y avait d'un côté sa parole et de l'autre quelques grammes de papier qui n'avaient pas brûlé avec les tonnes d'autres documents officiels du parti. Sans compter les voix des éventuels témoins à venir.

Même s'il reconnaissait que l'image était simpliste et la réalité beaucoup plus complexe, il n'en était pas moins convaincu que la trame de son procès se résumerait à cette piètre caricature.

N'était-il pas aussi radicalement une incarnation du mal aux yeux du plus grand nombre? Et ceux qui avaient fait serment de justice aux millions de disparus, n'avaient-ils pas le sentiment du devoir moral en cet instant, fut-il aveugle et sourd ?

Il comprenait tout cela et plus encore. Il comprenait l'urgence d'en finir, la peur, le désir de revivre enfin. Il comprenait d'autant mieux qu'il était au cœur de cette pensée qui le tenait éveillé depuis des années et l'apparentait au sombre alter ego que tout le monde voyait en lui. Et que finalement, il n'arrivait plus à distinguer du véritable lui-même.

Il ressentit une lourde lassitude.

Le juge se tourna de nouveau dans sa direction.

— Accusé, vous avez entendu les faits et les charges qui sont retenus contre vous. Que plaidez-vous ?

Il était trop faible pour se lever, aussi pour s'assurer que tous entendraient bien ce qu'il allait dire, il demanda qu'on lui rapproche le micro.

Pendant un instant, il arrêta son regard sur ceux de l'assemblée, braqués sur lui. Il n'y lisait qu'incrédulité ou antipathie.

— Coupable !


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Sans dire un mot, Paul avait nettoyé la plaie du père avec un morceau de savon d'Alep et de l'eau froide. Puis il avait confectionné un pansement avec une bande de coton et deux épingles de sureté qui composaient le paquetage que son propre père avait conservé de l'armée.

La blessure, une longue estafilade sous la hanche, ne saignait presque plus. Ce n'était pas bien grave en apparence, mais il faudrait sans doute faire déplacer le docteur Jourdan afin de prévenir le risque d'infection.

— Qu'est-il arrivé ? demanda-t-il à la jeune fille quand ils se retrouvèrent seuls dans la cuisine.

— Je m'appelle Adèle.

Une pointe d'irritation perçait à travers sa voix.

Il n'avait pourtant rien dit ou fait qui puisse l'offenser. Pendant tout le temps où Paul s'était occupé de soigner son père, elle était restée debout à ses côtés, à lui tenir la main. L'espace d'un instant, il s'était réveillé avant de retomber dans l'inconscience. À ce moment-là, Adèle avait brusquement retiré sa main. À présent, il trouvait ce comportement encore plus étrange.

Elle avait peur. Mais de quoi ?

— Votre père est hors de danger. Il faut simplement qu'il se repose.

En disant cela pour la rassurer, Paul prit conscience que cela pouvait prendre quelques heures ou bien quelques jours. Comment allait-il faire face à la situation ?

La jeune fille aux semelles de ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant