- Nous avons encore du temps devant nous pour faire appel.
- Non. C'est inutile.
Dans leur verdict, les jurés avaient suivi l'avocat général.
- Tu n'es pas forcé de faire ça, lui avait expliqué sa fille.
- Faire quoi ?
- Tu le sais parfaitement. Endosser toute la misère du monde parce que tu te sens coupable de ne pas avoir aidé suffisamment de gens. Je suis certaine que nous pouvons obtenir une réduction de peine.
- Après dix ans d'une autre procédure ? Quel en sera alors le bénéfice, à mon âge ? Allons, la sentence était juste et tu le sais parfaitement.
Tu as insisté pour me défendre. Toi aussi, tu n'étais pas forcée de le faire. Nous en connaissions tous les deux les risques. Je ne t'ai rien caché. Aussi, ne laisse pas tes sentiments t'aveugler.
Il n'aurait peut-être pas dû dire cela. C'était plus fort que lui. Il fallait toujours qu'il finisse par sortir une parole désagréable.
Il aurait dû se sentir coupable, mais c'était un tout autre genre d'émotion, s'apparentant en partie à du soulagement, qui prenait le dessus. Aussi loin qu'il s'en souvenait, il n'avait jamais ressenti un tel sentiment de liberté depuis l'annonce du verdict.
En faisant cependant le constat du visage attristé de sa fille, la honte l'emporta un court instant sur la joie en produisant, intérieurement, un véritable effet de catharsis.
Il l'attira à lui et glissa sa tête sous son bras dans un geste de pure tendresse le renvoyant très loin en arrière. Et le bonheur éprouvé, qu'il avait peine encore à reconnaître, lui rappela au fond de lui l'homme d'amour qu'un jour il avait été.
Ses anciens tremblements le reprirent.
Il ferma les yeux.
Les tremblements ne s'arrêtaient plus.
Il s'était mis nu, à proximité du poêle qui surchauffait la minuscule pièce que lui avait attribuée le doyen du camp. Ce n'était pas le paradis, mais ce n'était pas non plus l'enfer, contrairement aux conditions de ses camarades dans l'obscurité et le froid des baraques.
Malgré cela, la chaleur ne calmait pas l'agitation de tout son corps.
La température n'y était pour rien et il le savait bien.
Une seule chose pouvait le soulager.
Il s'efforça de ne plus penser qu'à elle seule, attendant que le calme revienne dans ses mains. Il arracha alors une nouvelle feuille du bloc de papier qui lui avait servi à écrire toutes ses lettres.
16 mars 1943
Louise chérie,
Encore une journée dans la neige et la grisaille. L'impression de vivre une nuit ininterrompue. Pourtant, ce n'est rien comparé à la noirceur de mon âme.
Aujourd'hui encore, j'ai dû intervenir pour un pauvre malheureux. Tu sais ce que cela signifie. Cela s'est passé à la suite d'un accident terrible, dans la carrière. L'homme a eu la jambe et le pied broyés. Bien que tout cela me fasse horreur, pouvais-je le laisser dans ces conditions, sachant ce qui l'attendait ?
Certaines fois, comme maintenant, lorsque j'y repense, tout me semble insensé. Je ne suis pas loin de me croire fou. Un homme sain agirait-il de la sorte ? Pourtant, sur le moment, c'est l'hésitation qui me paraît un crime. Comprends-tu cela, toi qui dis toujours que la raison doit l'emporter sur la passion ?
Un jour, il faudra bien que la guerre finisse. Alors ?
Mes espoirs comme mes pensées sont entièrement tournés vers toi et vers ma petite Adel. Puisse Dieu, s'il existe, lui épargner toujours ces laideurs.
- Écoute, susurra-t-il en rouvrant les yeux et en caressant doucement les cheveux de sa fille, il y a peut-être encore quelque chose que tu pourrais faire pour moi.
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La jeune fille aux semelles de vent
AventuraLa vie solitaire de Paul Dupuy est bouleversée le jour où il recueille dans sa maison de Provence deux mystérieux voyageurs : une jeune fille, Adèle, accompagnée de son père. Très vite, il apparaît qu'un lourd secret les poursuit. La présence des ét...