Chapitre 23

5 2 0
                                    

C'était la dernière occasion qui lui était offerte de s'exprimer. Bien qu'il ait eu la possibilité de le faire à tout moment.

Il s'était toutefois contenté de répondre ponctuellement aux questions. Il n'était pas doué pour la répartie. De plus, le temps nécessaire à la traduction était un obstacle en soi.

À présent, n'était-il pas trop tard pour tout reprendre à zéro ? Le temps lui avait déjà paru infiniment long. S'il devait tout rediscuter point par point, cela relancerait assurément les débats pour une durée indéterminée. Autrement, quelle formule lapidaire pourrait rendre compte de ses objections, de son dégout, de son refus ?

- Pendant plusieurs jours, j'ai écouté le portrait que l'on faisait de moi, commença-t-il avec la ferme intention d'être le plus objectif possible. Je dois dire que j'ai souvent eu l'impression que l'on parlait de quelqu'un d'autre.

- Voulez-vous modifier quelque chose aux précédentes déclarations ? S'enquit le président.

- Non. J'espère seulement que l'on me jugera pour les bonnes raisons.

Il aurait été tenté de dire avec humanité. Au lieu de cela, il se tut. Dans l'esprit de ses juges, ce mot ne lui correspondait pas.

Il aurait même pu résonner comme une injure.

                                                                              ********************

Adèle repoussa la main qui s'était posée sur ses cuisses avec une violence qu'elle regretta aussitôt.

Le jeune homme prénommé Pierre fit un bond de côté. Son visage s'empourpra légèrement faisant ressortit les taches de son sur son teint blanc.

- Je suis confus, dit-il en toute franchise et avec un léger accent fleuri.

Elle aimait sa façon de s'exprimer, le choix de ses mots et ses manières qui semblaient appartenir à une autre époque. Cela faisait presque de lui un personnage de roman, séduisant et mystérieux. En dehors du fait qu'il était plutôt beau garçon avec sa tignasse blonde indisciplinée et ses grands yeux bleus.

Son véritable nom était Peter.

Le fait qu'il préfère employer le prénom français était, selon elle, davantage une affaire de goût qu'une réelle nécessité. En tout cas pas au sens où elle, elle se faisait appeler Adèle à la place d'Adel qui sonnait trop allemand.

Lui était du bon côté. Du côté des vainqueurs.

Mise à part qu'il était venu un jour de Londres avec sa mère, c'était à peu près tout ce qu'elle savait de lui.

- Il semble que la leçon est terminée pour aujourd'hui.

Pierre se leva. Il referma le petit manuel d'orthographe de M. et Mme Bled et un autre avec en couverture un cheval au labour qui invariablement rappelait à Adèle ce pauvre Maréchal. Puis, il ramassa avec une lenteur étudiée les quelques feuilles quadrillées couvertes d'écritures.

- Gardez-les, dit-il en les lui tendant. Vous pourrez toujours vous entraîner en mon absence. Vous faites beaucoup de progrès, Mademoiselle Adèle. Vous n'aurez bientôt plus besoin de moi.

Il marqua un temps d'arrêt. Puis, n'obtenant aucun écho à son appel dissimulé, il reprit ses affaires : une casquette en damier lui donnant un petit air fripon et une grosse veste en cuir marron ayant appartenu de son propre aveu à son père.

Il était sur le seuil de la porte quand elle prit subitement conscience qu'il s'en allait vraiment.

- Pour quelqu'un d'aussi audacieux, vous abandonnez bien vite, clama-t-elle. Pierre ou Peter, je ne sais comment je dois vous appeler.

La jeune fille aux semelles de ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant