Il devinait dans le silence de sa fille la lutte qu'elle menait entre la colère et la retenue.
— Pourquoi ?
La question visait, bien sûr, sa position au cours de la dernière séance du procès. Ce qui lui avait valu, sur demande de la défense, un ajournement involontaire.
— Nous en avons déjà parlé, mein liebling.
— Ne m'appelle pas comme ça. Il ne s'agit pas d'un jeu. Je te le répète, papa, pourquoi est-ce que tu as changé notre ligne de défense ?
— Parce qu'ils ont peut-être raison, tout simplement raison.
À voir la mine gravement contrariée de sa fille, il comprit qu'il ne serait pas facile de la convaincre. Qui plus est, au-delà de la blessure qu'avait pu causer son revirement, il l'avait aussi mise en danger.
Devant la cour, il avait parlé sur le coup de l'émotion, sans penser à sa position à elle, à ce qu'elle représentait dans ce procès. Surtout, d'une certaine manière, à l'enjeu qui n'était pas seulement son avenir à lui, limité quelque soit l'issue, mais avant tout celui de sa fille. Il s'était montré une fois de plus égoïste.
— Mais tu as vu toi-même la tête des jurés. Tout est joué d'avance. Ils ne laisseront jamais une personne comme moi s'en sortir. Quelqu'un doit payer. Et puis, ajouta-t-il en se sentant gagné de nouveau par une lassitude non feinte, ce que j'ai fait...
— Tu as fini ?
En prenant ce ton péremptoire, il savait qu'elle cherchait à le déstabiliser pour le remettre sur la voie du bon sens. Toutefois, ce terme avait-il seulement sa place dans le contexte des débats ?
— Si tu n'avais pas fait ce que tu as fait, ils auraient mis quelqu'un d'autre à ta place. Et le résultat aurait été...
— Plus horrible encore ? Les gens ne jugent pas sur ce qui se serait produit, parce que la réalité des faits est déjà suffisamment terrible. Rien ni personne ne viendra témoigner avec l'objectivité nécessaire pour faire la part du bien et du mal.
— Si, affirma-t-elle avec une rare violence, la vérité !
*************
La nuit fut une succession de cauchemars éveillés et de profonds trous noirs durant les rares moments qui s'apparentaient plus à l'inconscience qu'au sommeil. Si bien que Paul se leva dès les premières lueurs du jour qui filtraient à travers les planches disjointes de la grange. Plus fourbu qu'après une journée de labeur aux champs et avec un marteau-pilon sous le crâne.
La faute n'en revenait pas à son couchage de fortune, plutôt confortable d'ailleurs. Il n'en était pas à son coup d'essai. Il y avait eu la fois où Maréchal était atteint de la gale et avait bien failli y passer. Malgré le risque de contagion, Paul était resté au chevet de la bête toute la nuit aux côtés de son père. Mais surtout, il y avait eu cette fois, la première fois, où il avait couché la belle Anaëlle dans la paille. À peu près au même endroit qu'aujourd'hui.
Anaëlle, dont le visage s'était par moments confondu, dans les songes, avec celui d'Adèle. Et dont le souvenir s'estompait déjà.
Il ne conservait jamais durablement de traces de ses rêves. Tout ce qui restait de ceux de cette nuit avait vaguement à voir avec Rimbaud et le père d'Adèle (confondus eux aussi). Il se souvenait également du sang, beaucoup de sang. Et au milieu de tout cela, le double visage d'Adèle/Anaëlle. Quels liens formaient la trame de ses songes, voilà ce qu'il était incapable de dénouer pour l'heure.
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La jeune fille aux semelles de vent
AdventureLa vie solitaire de Paul Dupuy est bouleversée le jour où il recueille dans sa maison de Provence deux mystérieux voyageurs : une jeune fille, Adèle, accompagnée de son père. Très vite, il apparaît qu'un lourd secret les poursuit. La présence des ét...