Chapitre 6

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Chapitre 6

«Semblables à une vague, ses sentiments s'échouaient sur un banc de sable.»

J'ai pensé tout le reste de la journée à quoi à quoi pourrait bien ressembler notre rendez-vous, cette nuit. J'admets que j'angoisse un peu, et la chaleur ambiante n'est pas pour m'aider.

C'est juste qu'elle ne parle pas beaucoup. Elle n'est pas très expressive et la plupart du temps, elle prend cet air supérieur qui vous donne envie de poser tout plein de question. Mais son regard noir et tranchant vous en dissuade aussitôt. C'est un paradoxe assez brutal, ça me chamboule dans tous les sens. Mais c'est amusant, d'essayer de deviner comment elle va réagir à telle ou telle remarque.

Agathe ne fait pas de fête, ce soir. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle a simplement haussé les épaules et m'a presque snobé. Et puis, j'ai appris de son amie qu'elle ne se sentait pas très bien, qu'elle avait un petit coup de mou.

Moi je sais ce que c'est. C'est le résultat au manque d'attention habituel qu'elle reçoit.

Elle est comme ça. Elle aime être projetée sous les feux de la rampe. Elle aime rouler des hanches entre les tables à la cantine le midi, elle aime faire des allers retours incessants dans la cour pour que les gens la remarque. Elle parle fort et rigole souvent, elle à ce sourire scotché sur la figure. Elle secoue tout le temps ses cheveux et lèche ses lèvres lorsque quelqu'un la reluque. Elle est comme ça, et elle n'accepte pas la concurrence. J'accepte ça.

Je toque à la porte de chez moi. J'ai oublié mes clés et la porte est fermée à double tour.

Ma mère ouvre et dépose un baiser sur ma jour. Je jurerais avoir du rouge à lèvre fushia sur la peau, maintenant. Elle porte un élégant pull beige et un long pantalon en flanelle noir. Je ne comprend pas pourquoi est-ce qu'elle s'embête à porter des talons à la maison. Personne n'est là pour la regarder, à part papa et moi. Et je l'ai déjà vu dans les pires états imaginables. Comme l'été dernier lorsque papa à tondu ses jonquilles. Ou bien cet hiver, lorsque je me suis cassé la jambe en faisant du ski. Elle avait l'air d'avoir plus mal que moi, et ça me dérangeais un peu. Je ne veux pas que les gens souffrent à ma place. Je peux très bien endosser cette responsabilité.

– Je sors, ce soir, déclaré-je de but en blanc en m'asseyant devant une assiette de cookies industriels.

Elle hausse un sourcil et repose l'assiette qu'elle tenait sur le plan de travail.

– Avec qui ? Et où ?

Je soupire. Pourquoi faut-elle toujours qu'elle se focalise sur des formalités ?

– J'ai le droit de savoir qui mon fils fréquente et ce qu'il fait ! gronde-t-elle d'une voix forte et autoritaire. Je fais cela pour te protéger.

Je craque mes doigts dans mes paumes et repousse l'assiette de biscuits.

– Tu n'as pas besoin de me protéger lorsqu'il n'y a pas de danger. Je vais dormir chez Brennan.

Elle plisse à demi les yeux et secoue la tête. Je sais que je l'agace lorsque je mens avec aplomb. Elle n'ose jamais rien rétorquer, c'est peut-être aussi pour cela que je m'entraîne devant la glace à répéter des âneries pour paraître crédible. Je ne lui mens pas souvent, je déteste me sentir coupable de quelque chose. Mais parfois, il faut juste qu'elle me lache la grappe.

– Est-ce que tu manges ici, au moins ?

– Oui.

Je descend de la chaise et quitte la cuisine.

Coney Island Queen ♚ - [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant