Chapitre 18

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« C'est beau les gens qui pleurent, a-t-elle dit. C'est un peu une façon de se rendre à la vie, d'avouer qu'on est trop faible

Les fesses dans le sable, ma main dans la sienne, et la tête dans les étoiles.

– Je suis désolé pour hier soir. J'ai passé la journée à me dire que j'étais qu'un idiot.

Elle secoue la tête et pose sa joue sur mon épaule.

– C'est de ma faute à moi, Caleb. C'est toujours de ma faute.

– Non, ne dis pas ça. J'aurais dû te retenir. J'aurais dû le faire et j'l'ai pas fais, tu vois.

Elle lève les yeux mais pour une fois, ce n'est pas avec dédain. C'est juste pour observer les étoiles. Pour une fois, ses mains sont vides. Pas de traces d'un verre de Coca mélangé à je ne sais quoi, pas même une cigarette entre les doigts. Elle porte un simple t-shirt blanc trop grand qui retombe à la limite de son short en jean. Ses gestes sont saccadés et ses yeux ne brillent pas de la même manière que d'habitude.

– A quoi tu penses ?

– A rien.

– Tu peux me le dire, Aly, pour de vrai.

Elle pince les lèvres et conserve le silence. Quelques minutes plus tard, elle ouvre enfin la bouche.

– J'sais bien que j'suis une cause perdue. Ça a toujours été comme ça avec moi. Mais on m'disait que ça avait un certain charme.

Je m'approche d'elle et passe un bras autour de ses épaules. Un frisson parcourt son corps et elle se colle contre moi.

– Tu vas mal ? je demande bêtement, comme si je ne connaissais pas déjà la réponse.

– Ouais, comme d'habitude. C'est juste que aujourd'hui, t'es là pour le voir.

Un craquement retentit derrière nous et je fais volte-face, paniqué. Mais en réalité, il s'agit juste d'un chat qui passe dans les buissons. Je soupire et me retourne vers les vagues sur l'eau.

– T'as jamais voulu m'expliquer ce qui tournait pas chez toi.

– A moi non plus, on n'a jamais voulu me l'expliquer.

Après quoi, chacun de nous observe silencieusement le paysage. Enfin, quand je dis observer, pour ma part, c'est d'un œil vide. Je pense à trop de choses en même temps, je ne peux même pas me concentrer sur le vide. C'est comme si j'apercevais l'intérieur de ma tête à travers mes yeux, comme si je pouvais voir chacune de mes pensées tourbillonner sans jamais s'arrêter.

Je pense à la fille qui est assise juste à côté de moi. Et j'me dis que tout ça, ben ça a pas vraiment de sens. J'veux dire, on est assis là, dans le sable, comme deux malheureux, et on parle de la vie et de tout ce qui ne va pas à l'intérieur d'elle. On s'dit qu'on peut changer tout ça, même si sur notre plage, personne d'autre nous entend. On murmure que c'est pas grave et qu'on peut s'en sortir, mais chaque jour qui passe et qui se casse, chaque seconde qui s'effrite nous prouve un peu plus à quel point tout ça, c'est juste affreusement merdique. On voudrait pas être là. Mais hein, c'est pas comme si on avait vraiment le choix.

– C'est vraiment nul de quitter sa ville, tu le sais ça, Caleb ?

Je secoue la tête.

– Tous mes amis, ils avaient promis de m'appeler et tu vois, personne l'a fait. Même pas au début.

– Mais tu vas les revoir. Ils viendront à ta fête, et ils seront là lorsque tu rentreras.

Elle souffle et se laisse tomber en arrière. Je me tourne vers elle, ses cheveux disposés autour de son visage comme une auréole ombrée.

– J'sais même pas si j'veux rentrer à la maison, Cal. Les gens de là bas, ils sont pas pareils que vous.

– C'est-à-dire ?

– Ils sont pas pareils, c'est tout. Mais ça me dégoûte de voir à quel point ils ont aussi peu de considération pour moi, dit-elle en clignant des yeux. Toutes ces promesses qu'ils m'avaient faites c'étaient juste un beau tissu de mensonges, hein, qu'est-ce t'en dis toi ?

Je rigole et me laisse tomber à côté d'elle, allongé sur le sable fin.

– Tu vas pas pleurer, hein ?

Ses lèvres s'étirent en un petit sourire et elle chasse mes propos d'un signe de la main. 

– Nan putain ! Pour qui tu m'prends, sans rire ?

Je lève les yeux au ciel, notant au passage que les étoiles sont bien visibles aujourd'hui. Demain sera sûrement une belle journée. Peut-être que cette fois-ci, les grillons se remettront à chanter.

– C'est pas trop grave de pleurer, finalement, dis-je seulement pour la mettre à l'aise.

– Hum hum, t'as raison. C'est beau les gens qui pleurent. C'est un peu une façon de se rendre à la vie, d'avouer qu'on est trop faible.

– Je crois pas que tu sois trop faible, toi. C'est juste que quelque fois, elle t'en donne l'illusion.

D'un mouvement vif, elle se tourne vers moi et me sonde de ses yeux clairs. Je fronce les sourcils, mon regard plongé dans le sien. Et ça me prend comme ça. Ça me prend les tripes, ça me prend le cœur. Ça le broie entre des mains de fer. Qu'est-ce qu'elle est belle, mon dieu, qu'est-ce qu'elle est belle. On dirait qu'elle est magique, qu'elle rayonne, qu'elle scintille. On dirait que c'est un mirage. On dirait une perle d'argent, un ange, un diamant.

– Merde alors.

– Quoi ?

Ma voix grave me surprend moi-même. Pourquoi suis-je si hargneux ?

– Ce que tu viens de dire là, c'était vraiment beau.

– Ah bon ?

Elle hoche la tête et se redresse vivement.

– Viens, on se tire.

Elle se relève d'un bond et me tend la main.

– Pourquoi ?

– Vite. Il faut que je note ça quelque part avant d'oublier.

Je pince les lèvres.

– C'était si beau que ça ?

Elle souffle entre ses lèvres et son regard se perd un millième de seconde.

– Pfff, j'sais pas trop... Mais moi ça m'a fait quelque chose.

Je hoche la tête, saisi sa main et me relève souplement.

– Où est-ce qu'on va ?

– Ailleurs.

– Ailleurs où ?

– Putain j'en sais rien, Cal. J'sais juste qu'on y va, et qu'on y va vite.

Coney Island Queen ♚ - [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant