Chapitre 20

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« Elle l'avait compris bien avant moi — et j'aurais dû l'écouter — mais parler pouvait tuer. »

Avant, c'était bien ordonné dans ma vie. Et j'avais pas de questions à me poser parce que tout roulait comme sur des roulettes. Et après, elle a débarqué, et elle a juste tout fichu en l'air. C'est comme si elle avait éventré mon quotidien avec un canif et qu'elle s'était amusée à en éparpiller les morceaux de partout.

Elle m'a laissé planté au milieu d'la route hier soir, et elle n'était pas en cours aujourd'hui. J'me dis que ça sers à rien de m'inquiéter, parce que cette fille, ben elle fait un peu ce qu'elle veut. Alors il suffit qu'elle est décidé de ne pas venir pour ne pas venir.

J'sais pas si quelqu'un a déjà essayé — sûrement à un moment ou un autre — mais moi, je persiste à croire que c'est impossible de lui fixer des limites. Comme si au contact de notre autorité, comme si au contact des mots, elle devenait du sable fin, comme celui de notre plage, et qu'elle nous glissait entre les doigts. Et c'est ça qu'elle finira par faire de toute façon : me glisser entre les doigts.

Je l'ai rejointe ce soir là.

Elle n'avait pas bougée, comme si elle passait sa vie ici. Elle était seulement assise au bord de la mer, ses petits pieds recouvert d'une eau claire, et elle s'amusait à faire passer le sable entre ses doigts.

Je me rappelle que je me suis dis que je l'admirais. Qu'elle était belle et qu'elle était quelqu'un. Pour de vrai.

J'ai pris place à ses côtés, face aux vagues qui se déchaînaient ce soir-là, et j'ai écouté le son de ses larmes sur ses joues humides.

J'aurais voulu entendre son cœur se déchirer. Ça aurait juste été plus réel.

Et puis elle à essuyer toutes les traces de sa souffrance d'un geste rageur. Elle a ouvert les yeux et elle a remis son masque, tu sais, celui qu'elle porte le jour. J'étais triste qu'elle ait si vite oublié qu'il n'était que minuit, et que c'était normal de pleurer à cette heure là.

Elle a reprit son air inébranlable et elle m'a lancé un regard en coin, comme toujours. Comme si ça faisait trop mal de me regarder en face.

Elle a haussé un sourcil interrogateur et à dit d'une voix claire :

– Pourquoi est-ce que tu me regardes comme cela ?

J'ai souris, parce que sa question était simple. La réponse l'était aussi. Claire comme de l'eau de roche dans mon esprit. Mais lorsque j'ai voulu lui dire, les mots sont devenus du papier de verre sur ma langue, et parler m'a brûlé la gorge :

– Comme ça, comment ?

– Comme si t'étais amoureux de moi.

J'ai souris, une nouvelle fois.

J'aurais voulu la serrer fort contre mon torse. J'aurais voulu ne jamais répondre, ne jamais briser la magie de l'instant, face à la nature.

– Je ne suis pas amoureux de toi, ai-je dis d'un ton monocorde. C'est juste que chaque fois que je pose mes yeux sur toi, je continue de penser que tu es la plus belle personne que je n'ai jamais vu. Je veux dire, tout est attirant cher toi : tes cheveux, tes yeux, tes fossettes, tes tâches de rousseurs, tes manières, tes phobies, tes lubies. Tout. Même tes larmes sont belles. Honnêtement, je pense que tout en toi est de l'art.

Ses lèvres se sont doucement étirées et j'aurais donner ma vie pour capturer ce moment dans ma mémoire.

– De l'art ? a-t-elle répété, surprise.

– Oui.

– Tu penses que je suis une œuvre d'art ?

– Oui, ai-je seulement dit.

Elle a replongé ses doigts dans le sable fin et a penché la tête, comme captivée par sa main.

– J'ai une théorie. Comme quoi chaque personne qui te fait un compliment te le fais uniquement parce qu'elle rêve de le recevoir en retour.

Mon cœur s'est serré à ce moment-là. C'était comme si elle refusait d'admettre la vérité, qu'elle refusait d'admettre sa personne.

– C'est faux. Je m'en fiche d'être une pièce d'art ou juste une pierre. Tant que je peux t'admirer toute ma vie, je n'ai pas besoin que l'on me complimente.

Je ne sais pas pourquoi je faisais tout ça, pourquoi j'me donnais tant de mal alors que j'avais toujours pensé que les mots, c'était aussi abrasif que de l'eau.

Mais elle était là, elle flottait dans un chagrin trouble, et je n'arrivais même pas à la sortir de là.

J'ai prié pour qu'elle me parle, pour qu'elle me confie ce qu'elle avait sur le cœur. J'ai regardé le ciel et je l'ai supplié de faire quelque chose pour elle, de la protéger et de la sauver. Je sais pas trop si on peut se protéger de soi-même mais j'ai espéré que ça marche pour elle.

Et elle s'est mise à parlé. Enfin, elle a juste dit une phrase. Une seule petite phrase qui m'a fait comprendre que non, les mots n'étaient pas aussi abrasifs que de l'eau. Ils l'étaient cent, mille, trois mille fois plus. C'était comme une pierre qui s'enfonçait lentement dans chaque partie de moi, comme des milliards de petites aiguilles qui piquait chaque centimètre de ma peau. Mais c'était juste des mots. 5 petits mots de rien du tout. 5 petits mots de merde. 5 petits mots qui flottaient dans ma tête.

– Je retourne à Coney Island.

Coney Island Queen ♚ - [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant