Chapitre 22

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« Elle a dit que j'étais pas devenu quelqu'un de bien, et elle avait jamais dit quelque chose d'aussi vrai. »

Je sais pas comment c'est arrivé. Je sais pas par quel miracle ça s'est produit, mais elle est partie. Elle m'a dit «je pars», j'ai répondu «tu n'oserais pas», et elle a osé. Elle est vraiment partie, et pour la seconde fois, j'ai même pas esquissé un mouvement pour l'en empêcher.

Je suis allé sur la plage hier soir. Une partie de moi savait qu'elle serait déserte, mais l'autre partie espérait qu'elle soit là, assise sur le sable blanc comme tous les jours avant.

J'avais l'impression de sentir son parfum dans chaque rue et d'entendre son rire devant chaque maison. Je croyais percevoir les battements de son cœur si près de moi que j'aurais cru qu'elle était là.

Ce n'était qu'une illusion. Parce que la plage était vide. Et ma vie le semblait tout autant.

Maintenant je marche en traînant des pieds dans la cour, jusqu'au banc où Agathe et Brennan sont assis. Je leur fais un signe de la main auquel ils ne répondent pas. Peut-être qu'ils ne m'ont simplement pas vu.

– Salut, je dis.

Bren lève les yeux et me tape dans la main, avant de se lever et de partir. J'aurais bien aimé qu'il reste, j'ai besoin de lui. Je sais que je l'ai négligé ces derniers temps mais il reste mon meilleur ami.

– Salut, je répète en m'asseyant à côté d'Agathe.

– Salut.

Elle n'ajoute rien d'autre. Je sais que je lui dois des excuses à elle aussi. Alors pour la première fois, je ne cherche pas de détour. Je le dis net.

– Je suis désolé.

– Ah. Pourquoi ?

Elle fixe le bout de ses chaussures et tord le coin de son cahier entre ses mains. J'avais l'habitude que la personne à côté de moi roule une clope entre ses doigts plutôt que ses cours de français. Mais maintenant elle est partie cette personne, hein ?

– J'ai pas été là.

– Ouais. T'as en quelques sortes disparu de la surface de la Terre.

Je hoche la tête. C'est vrai que je n'étais pas avec eux. Mais là où j'étais, j'étais pas seul. Et j'étais heureux.

– Je suis désolé.

– Tu l'as déjà dit.

Je ne renchéris pas. Qu'est-ce que je pourrais dire d'autre, de toute façon ?

– C'est dommage Caleb, t'étais un type bien. Mais t'as décidé de changer pour elle et maintenant c'est trop tard. Je comprends que ce soit dur de soudain réaliser qu'elle, elle n'aurait jamais changé pour toi. Mais ouvre les yeux. Tout le monde est au courant, elle est plus là, elle est partie. Et pourtant t'es pas plus seul qu'avant parce que nous on a pas bougé. On est toujours là. C'est juste que tu nous as tous oublié tellement t'étais obnubilé par elle.

Je fixe un point devant moi. Et j'me dis qu'elle a raison, sur toute la ligne. J'ai pas assuré. J'ai merdé en beauté. J'ai pas su prendre soin de mes amis, j'ai pas su leur montrer à quel point je les aimes.

– Elle m'a embrassée.

La phrase m'échappe. Je trouvais ça tellement moins ringard dans ma tête. Ça sonnait profond et poétique, ça sonnait romantique et désespéré. En vérité, ça fait juste pitié.

– Et alors ? Ça veut pas dire qu'elle est amoureuse de toi. J'suis persuadée qu'elle a pas de cœur, c'est juste un trou vide.

Je secoue la tête.

– Me dis pas non, Caleb. Elle est plus amoureuse de ses clopes que de toi.

Sur ce, elle marque un point. Je ne pense pas qu'elle ait jamais été amoureuse de moi. Mais je crois au fait qu'elle m'appréciait. Du moins, suffisamment pour verser toutes les larmes de son cœur devant moi et me montrer la pire face d'elle.

Mais elle l'a dit. Elle l'a murmuré, je m'en souviens. C'est très clair dans ma tête, j'me rappelle même qu'elle avait les yeux humides et que ses cheveux étaient pas comme d'habitude. Elle les avait lissés et il lui arrivait presque jusqu'aux fesses. J'aurais voulu y plonger la main et m'y perdre à jamais.

Mais elle l'a dit.

« Non, tu le ferais pas pour moi. Alors je resterai pas pour toi. »

Tous laisse à supposer que si j'avais dit oui, si j'avais accepter de partie avec elle, elle ne m'aurait pas fuit.

Je sais même pas ce qu'elle a fuit. En fait, c'est plus compliqué que ça. J'ai l'impression qu'elle est dans une fuite perpétuelle, comme si elle courait devant la vie. Et j'me demande si c'est moi ou la partie d'elle en moi à laquelle elle veut échapper.

– Elle est comme ça.

– Arrête de toujours dire des choses pareilles, des choses du style "elle est toujours comme ça" ou bien "c'est la vie." T'as pas à subir celle des autres, t'as pas à subir le choix des personnes autour de toi.

Elle saisit mon menton et tourne ma tête.

– Si quelque chose te déplaît, libre à toi de le montrer. On n'est pas des animaux en cages, Caleb. On a le droit de se détester.

Je hausse les épaules peu convaincu et elle pose une main sur mon bras.

– C'est pas grave de détester quelqu'un, même sans raison.

Je frissonne. Parce que cette phrase, je l'ai entendu ailleurs. C'était au creux de mon oreille, et ça venait d'une jolie bouche colorée qui sentait le tabac et le rhum-coca. C'était Alyssa.

Alyssa.

Alyssa.

C'était du temps où elle était encore là.

Coney Island Queen ♚ - [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant