Chapitre 13

103 20 2
                                    

« Je l'ai d'abord confondue avec une comète. Et j'ai compris par la suite que s'en était une

La question me taraude depuis un sacré moment. Je la retourne dans tous les sens dans ma tête et j'hésite à la poser. Mais il faut bien que je me lance, un jour ou l'autre. Après tout, elle ne me mangera pas. Même si ses pupilles semblent pouvoir engloutir tout le monde, même si parfois, elle est carrément flippante, elle ne me fera rien de méchant. Au pire, elle me lancera une remarque bien sentie et me laissera seul sur la plage.

– C'était comment, à Coney Island ?

Un léger sourire étire ses lèvres et elle rejette la tête en arrive.

– C'était différent, dit-elle d'un air rêveur.

– Hum... Mais encore ?

Elle hausse les épaules et se tourne vers moi.

– Les gens ne vivent pas de la même façon. Tout le monde s'active le matin pour ne pas être en retard, les gens font la fête le soir, dans les bars et les boîtes de nuit, et puis, même, les gens sont différent. On n'a pas de champs à côté de la maison et les gens sont habillés avec de la marque. Tout le monde à une clope au bec et plus ou moins tout le monde boit en soirée.

J'ouvre de grands yeux. Je sais bien que la ville, ça n'a rien à voir avec notre petit village de campagne. Je sais que les gens sont plus stressés par le travail et que la journée passe beaucoup plus vite. Mais j'aimerais tellement vivre là-bas. Pas forcement à Coney Island, mais dans un endroit moins retranché que Princeton.
Lorsque l'on observe Alyssa quelques minutes (ou tout au long de la journée, à la façon), on voit très bien qu'elle n'est pas née ici.

Elle ne regarde pas quinze fois à droite et à gauche avant de traverser la route ; elle connait parfaitement le bruit d'une voiture lorsqu'elle est proche et qu'il faut s'arrêter — à moins qu'elle ne se fiche totalement de finir comme une crêpe sur l'asphalte de la route.

Elle ne sursaute jamais lorsque quelque klaxonne, elle se contente de lâcher un "ta gueule, connard" bien sonore et de jeter ses cheveux en arrière.

Elle ne relève jamais la tête au passage d'un camion, elle n'en a rien à faire.

Et lorsque tout le monde se retrouve dans la rue, à parler sur le trottoir avec son groupe d'amis, elle ne ressent sûrement pas cette excitation que l'on a d'être nombreux et de se sentir fort.

Elle ne court pas pour prendre le bus, soucieuse de le louper. Elle fait juste un signe au chauffeur et celui-ci s'arrête.

En fait, c'est très déstabilisant.

Parce qu'on a l'impression qu'elle contrôle le monde entier d'un simple geste de la main.

– Est-ce que tes amis vont venir à la soirée de samedi ?

– Bien sûr qu'ils vont venir. Ça va être une fête du tonnerre, tu vas voir. La dernière fois que j'ai organisé une soirée, j'ai retrouvé du vomi dans les pots de fleurs de ma belle-mère et je me suis pris une retournée. Mais bon, c'était agréable, si je puis dire.

Je fronce les sourcils. Je crois qu'en effet, nous ne parlons pas vraiment de la même chose.

– Est-ce qu'il y aura de l'alcool ? je demande, soucieux.

Elle lève les yeux au ciel et éclate de rire.

– Ouais, évidemment. Et du tabac, et sûrement de la drogue. T'es pas obligé de consommer, mais si tu veux t'amuser, faudra bien que tu boives un peu.

Je tord le nez et ne peux m'empêcher de faire une grimace de dégoût.

– Ben quoi, qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'exclame-t-elle, hilare.

Je vois que son humeur a bien changé depuis tout à l'heure, et qu'elle ne ne fait plus la tête.

– Rien.

Je marque une pause. Je sais qu'elle va encore se moquer de moi mais tant pis. Je préfère la voir rire aux éclats que pleurer toute sa tristesse.

– C'est juste que je n'ai jamais bu. Ni fumé.

Et voilà, je l'avais prédit. La voilà morte de rire, étalée dans le sable, se roulant sur elle-même et se tenant le ventre.

– J'ai jamais vu une ville avec une telle concentration de gens paumés, hurle-t-elle.

J'ai un petit pincement au cœur mais je me force à sourire. Oui, peut-être que je suis un peu paumé, et que j'ai un train de retard.

– Excuse-moi, dit-elle en plaquant ses mains sur sa bouche. C'est pas cool de ma part. Mais putain ! T'as bientôt dix-sept ans et t'es jamais touché une bouteille de ta vie. T'es carrément à la bourre !

Je hausse les épaules. Je sais qu'elle a raison et que dans sa tête, elle se dit que je n'ai jamais su profiter de la jeunesse et que maintenant, c'est trop tard. Je m'en fiche. J'ai su apprécier les plaisirs simple de la vie jusqu'ici et je continuerais encore. Je pars du principe que je n'ai pas besoin de me saouler pour m'amuser et que le tabac n'est pas censé rythmer ma vie.

Elle pose une main sur mon épaule et se rapproche de moi.

– M'en veut pas, je suis comme ça.c'est qu'en plus de tout, j'ai pas eu ma dose de caféine journalière. Je suis un peu à cran.

Elle boit du café. C'est bon à savoir.

– Ma mère aussi est une accro à la caféine. Parfois, elle boit au moins cinq cafés par jour.

Je ne sais pas pourquoi je lui raconte ma vie. Elle s'en fiche et elle va sûrement ignorer ma remarque. Elle fait ça lorsqu'elle ne trouve aucun intérêt dans nos réflexions. Elle fait comme si elle n'avait rien entendu.

– Je ne bois presque pas de café. Mais j'adore le Coca Cola. Je sais que ça jaunit les dents et que c'est très sucré, mais j'adore ça.

Bien. Encore une fois où je m'étais trompé sur toute la ligne.

– Je te forcerais pas à boire. Mais c'est pas drôle si t'es sobre. Tu comprends tout ce qu'il se passe autour de toi et tu vois des gens faire des choses bizarres sans capter pourquoi. T'as juste à boire une bière si t'as peur de tes réactions. Tu verras, ça te suffira peut-être. 

Je note son conseil dans un coin de ma tête. Je pense que j'en aurais besoin si je veux passer pour quelqu'un de normal, samedi soir. Une bière, pour faire des choses bizarres et ne pas comprendre les autres. Très bien.

Coney Island Queen ♚ - [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant