Sa chambre n'était au final pas si transcendante. Dans une semi-obscurité, je ne voyais que quelques éléments de décoration. Des photos, sa guirlande de Noël, et des murs nus. Une chambre un peu impersonnelle, en somme, pour une personne que je ne connaissais pas réellement.Assise sur son lit, je l'observais. Sa robe de nuit lui donnait un air fantomatique. Un air que je n'aurais pas aimé croiser au détour d'un carrefour. Sur son bureau, rangé de tout cahier, de tout objet qui rendent une pièce vivante, était disposée une lettre. Elle me laissa s'en approcher, en dire un mot. En lisant à qui s'adressait la lettre, mes soupçons s'étaient vérifiés. Mais c'était son choix, après tout.
- Tu sais, j'avais un peu écrit la même.
Je sentis son regard se poser dans mon dos. Comme si, enfin, elle me voyait. Comme si, enfin, j'avais de l'importance, je pouvais la comprendre.
- La bassine, au sol, c'est parce que tu as peur que ça tâche ? Tu sais, tout dépend de ce que tu comptes faire, mais si t'as une corde, ce sera propre.
Niel me regardait d'un air surpris. Elle s'attendait sûrement à ce que je la dissuade, à ce que je lui dise qu'il y avait des personnes sur Terre qui tiennent à elle. C'est ce que les gens disent, habituellement. Ils pensent qu'ainsi, on aura des scrupules. Mais si on pense à partir, c'est qu'au final, on y a déjà pensé. Qu'on a déjà des scrupules. Qu'on est déjà un peu parti. Je connaissais parfaitement mon mode de fonctionnement, ma froideur, mon cynisme. Désormais, je savais ce qu'il fallait faire, je trouverai les bons mots, ceux que personne n'avaient réussi à trouver pour moi.
- Bien, si tu veux, quand ce sera fait, je te décrocherai, si tu as faire de salir ton tapis. Je t'allongerai sur le lit, ce sera moins choquant pour tes parents. Bon, allez, je te regarde. Dépêche-toi, on a devoir surveillé demain, faut que j'aille réviser.
Niel était médusée. Médusée était bel et bien le mot. Elle ne disait rien, mais son visage parlait pour elle. Essayant tant bien que mal de contenir son angoisse, sa gêne, de rester fière, elle montra sur le tabouret, attacha la corde à la poutre. Je la regardais sans dire un mot, comme quand Madame Klans nous avait emmené au musée d'Art contemporain et que rien n'était ressorti de ma journée. Et bien, là, c'était pareil. Niel était cette œuvre aux sens implicites, cette inspiration que les artistes ont tant cherché. Secrètement, j'avais peur qu'elle le fasse, vraiment. Je n'avais jamais vu une mort en direct, et pour mes dix-sept ans, je m'en serai bien passé. Mais, au dernier moment, elle me regarda du haut de son tabouret. Ses larmes salées tombaient sans un bruit, sans un crissement. On aurait pu la croire muette. Je l'aidai à descendre, l'allongea sur son lit et rabattis la couverture sur elle. En m'asseyant sur le lit, je vis sous sa table de chevet une boite, mal fermée, où tous ses souvenirs étaient là. Je compris qu'au final, elle ne le voulait peut-être pas. qu'au final, elle lançait simplement un appel à l'aide.
- Bon, fin de la partie, time-out. Tu viens en cours demain ?
- Tu n'as vraiment aucun cœur, aucune compassion, me dit-elle, entre deux sanglots.
Non, je n'avais pas de compassion, et mon cœur s'était envolé il y a bien longtemps. Mais c'était ainsi, elle allait devoir s'y faire, je ne comptais pas la lâcher comme ça en pleine nature.
- Ce que je te propose, c'est que demain, tu n'ailles pas en cours. Prends un grand sac à dos, on partira. Je ne sais pas où, mais de toute manière, ce n'est pas cette année qu'on l'aura, ce fichu diplôme. Alors partons. 6h45, ça te va ? Pas de grasse matinée pour les princesses !
Entre deux sanglots silencieux, elle me fit oui de la tête. ses yeux étaient embués de larmes, calfeutrés par la tristesse, par la fatigue, par la lassitude de se battre.
Je lui déposai son carnet sur son bureau, lui prit la corde pour aller la jeter quelques mètres plus loin. Immédiatement après avoir enjambé la fenêtre, elle attira son attention :
- Alexis ?
- Ouais ?
- Je ne suis pas une princesse, dit-elle d'un air boudeur, entre larmes et déception.
- Hum, reste plus qu'à voir si t'es une aventurière.
Je refermais la fenêtre, descendis la toiture par l'auvent, et couru dans la nuit qui m'happa, la gueule du loup grande ouverte.
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L'intraveineuse de sens
General FictionAu final, que sommes-nous ? Niel le sait. Elle le sait, parce que les mots le lui ont dit. Tout simplement. #210 dans Fiction Générale (28.08.2016) © Je suis un paradoxe. | 2016 #JeSuisResponsableDeCeQueVousLisez