La route débouchait sur un embarcadère. J'avais roulé pendant quelques heures, si bien que le jour avait largement eut le temps de se lever. Niel, elle, s'était endormie, son blouson coincé entre sa tête et le siège. Ses cheveux étaient enchanteurs, tant ils tombaient délicatement devant son visage. Du bout de l'index, je déplaçai une mèche qui pendait devant ses yeux. Sans ouvrir les siens, elle m'empoigna la main avant que je n'eus le temps de bouger cette mèche :
- Tu fais quoi là ?
J'étais décontenancé. J'avais l'impression d'être un film un peu nul, mal joué et au budget trop serré, ou le protagoniste voit même les yeux fermés. Mes joues ont sûrement dû virer au rouge pivoine. J'éprouvais de la honte à avoir été pris en plein acte de faiblesse pour cette fille qui, peu à peu, me paraissait charmante.
- Ahem, rien, bégayais-je.
Je retirai ma main et sorti de la voiture. L'air de la mer s'engouffra dans mes narines, le sel marin chatouillant chaque parcelle de ma peau. L'oxygène semblait différent, comme plus pur, plus intense, plus riche. J'ouvris grand les poumons, pris une profonde inspiration et profita du moment. L'alchimie entre les éléments semblait parfaite. Pour tout avouer, je n'avais jamais vu la mer, et j'en avais un peu honte. Les montagnes, la neige qui coinçait les cols abrupts, les chaînes de la voiture, les manteaux et les après-skis, tout ceci était mon univers. Pourtant, en observant les jeunes garçons de mon âge sur la plage à quelques mètres, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver de la jalousie. Ils jouaient au ballon, insouciant, tandis que d'autres essayaient de se tremper les pieds dans l'eau qui semblait être glacée.
Niel ouvrit sa portière, bailla et s'étira. Elle regarda autour d'elle, surprise de ne pas découvrir son univers familier. Elle se tourna instinctivement vers la mer, et sourit, les bras toujours au-dessus de sa tête. Ses yeux scrutèrent l'horizon un court instant, comme s'ils cherchaient quelque chose. Son sourire s'agrandit :
- Cool, de l'eau.
Je ne pouvais empêcher un sourire de se dessiner sur mon visage. Elle était étrange Niel. Elle n'était jamais vraiment surprise, ou alors faisait tout pour le cacher. Pourtant, il me semblait bien que cette fois-ci, j'avais réussi à la surprendre. Elle retourna dans la voiture, pris son carnet et le fourra dans la poche de sa veste. Elle me lança un "j'reviens", pressé et mal articulé. Impuissant, je la regardai dévaler les marches, atteindre le sable et retirer ses chaussures. Elle courut vers la bande de garçons que je jalousais quelques secondes auparavant, posa ses affaires au pied du filet et rattrapa le ballon. Je fulminais. Comment ne pas être d'autant plus jaloux ? Je l'avais conduite presque toute la nuit, mes cernes tiraient mes yeux endoloris, et elle, elle jouait au ballon avec des inconnus un peu trop collant ? Et n'oublions que la veille, elle avait tenté de se suicider ? Non, très honnêtement, je ne comprenais plus cette fille.
Je n'ai pas voulu regarder mon portable. Il vibrait dans ma poche depuis ce matin, à peu près tous quarts d'heure. Il fallait bien que je prévienne quelqu'un. Une énième sonnerie, je décrochai.
- Mais Alexis, c'est toi qui as ma voiture ? Vas-y ce n'est pas drôle !
Mon frère enrageait. Il n'y avait que lui et le lycée qui avaient tenté de me contacter. Mes parents ne sauraient sûrement jamais que je m'étais absenté, ils étaient bien trop préoccupés par leurs propres affaires. En revanche, mon frère, lui, ne démordait pas.
- J'en avais besoin quelques jours, j'ai pris des vacances, répliquais-je. Tout va bien, je te dis. N'avertis pas les parents, ils s'en fichent. Je te rendrais ta voiture, en attendant prends le bus, c'est mieux pour la planète.
Je ne lui laissai pas le temps de répondre, j'avais raccroché. Faire un pied de nez à mon frère me fit un bien fou. Je me sentais libre, presque comme revivre. Niel était toujours en contrebas, riait aux éclats. Son rire avait beau sonner faux, je ne pouvais pas me permettre d'être égoïste. Elle semblait s'amuser, alors je ne pouvais qu'apprécier.
Je décidais de me reposer. Je garai la voiture à quelques mètres, la place à l'ombre d'un vieux conifère, et m'assoupis. Mes dernières pensées allèrent pour Niel, pour son sourire et des yeux surpris.
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L'intraveineuse de sens
General FictionAu final, que sommes-nous ? Niel le sait. Elle le sait, parce que les mots le lui ont dit. Tout simplement. #210 dans Fiction Générale (28.08.2016) © Je suis un paradoxe. | 2016 #JeSuisResponsableDeCeQueVousLisez