Chers Mots,
Je me suis réfugié chez une soi-disant tante. À vrai dire, je ne la connais absolument pas, mais je lui ai dit que j'avais fait tout ce chemin pour la retrouver. Elle m'a ouvert sa porte, proposée du thé et c'est endormi sur la table. Il me semble qu'elle s'appelle Ophélie, mais bon, j'ai un doute. Elle n'est pas méchante, et j'en viens même à me sentir coupable de squatter d'user de son hospitalité.
Affalé sur le canapé, je n'ai pas encore envie de vous parler d'Alexis. Je préfère te décrire la télévision, ce gros tube cathodique informe et immonde à l'image grésillante, qui retransmet le journal de treize heures. L'homme à la moustache parle d'un jeune garçon, ne me demandez pas son nom, d'une émission internationale de chant, qui serait apparemment dans le coma depuis deux jours, outre-manche. Encore un à qui la célébrité est montée à la tête et qui a fini par se droguer ! C'est pour ça que je ne regarde plus les informations, ni même la télé, Chers Mots. Je préfère vous parler, car vous seuls comprenez. Et quoi de mieux que des mots pour exprimer des maux ?
Bon, vous avez raison, je divague. Mais je n'ai pas envie de parler d'Alexis, même s'il le faut, et même si je sais qu'en parler me fera le plus grand bien. Je me sens honteuse. J'ai cette culpabilité, car je ne ressens rien. Au lycée, il était intéressant, et j'aimais imaginer sa vie, ses amis, ses pensées. Je l'ai rapidement pris pour mon sauveur, mais en réalité, j'ai été bien trop stupide. Ce n'est qu'un garçon un peu lourd, qui s'est éprit d'une fille tout aussi lourde. À force de le comprendre, de vivre peu à peu avec lui, j'ai réalisé qu'il n'était pas si formidable que ça. La magie a disparu.
En écrivant ceci, je me rends compte que je suis comme toutes ces filles qui, dans les films un peu nazes des années quatre-vingts dix où le technicolor agressait les yeux, se plaignaient que leur moitié ait changé. Problème : ce n'est ni ma moitié, et je ne ressens rien pour lui. Je suis vide, de sens, de passion et d'envie. J'aimerais qu'on m'injecte ce que les véritables personnes ont : un cœur, avec des sentiments. Une simple piqure, une seule aiguille, une unique seringue, et le tour serait joué. Je deviendrais comme toutes ces filles qui s'amourachent, tôt ou tard, d'un garçon, voire même de la vie en général.
Seulement, Chers Mots, la vie je m'en contre-fiche. La vie, ce n'est pas une fatalité, je ne dirais pas ça. C'est simplement une phase, plus ou moins longue, où ma pomme déambule dans un couloir plus ou moins bien entretenu.
Et vous croyez que, vu comme ça, c'est passionnant la vie ?
Alexis, il sourit d'un rien, ça lui donnerait presque un air béat. Il est guilleret, aimable et son air mystérieux des débuts s'est très rapidement évaporé dans l'air. Actuellement, il doit être dans sa voiture, à lire encore et encore le petit papier que j'ai posé sur son torse. J'y avais écrit "je vais quelque part, je serai en sécurité, fais ce que tu veux." Je n'ai aucune idée de la façon dont il a digéré le mot. J'espère que vous serez cléments avec lui, mes Chers mots.
En attendant, j'ai déjà quelques plans pour la suite. Il est hors de question que je rentre chez moi. La nouvelle Niel n'aura duré qu'un temps, un laps de temps très court, mais très intense. Il est impératif que je me ressaisisse, que je n'oublie pas mon but premier : m'échapper.
Niel, en cavale.
p.9
VOUS LISEZ
L'intraveineuse de sens
General FictionAu final, que sommes-nous ? Niel le sait. Elle le sait, parce que les mots le lui ont dit. Tout simplement. #210 dans Fiction Générale (28.08.2016) © Je suis un paradoxe. | 2016 #JeSuisResponsableDeCeQueVousLisez