Je ne sais comment commencer cette page. Mon carnet contient encore beaucoup de feuilles, mais je ne sais pas si j'ai encore envie de les remplir. À vrai dire, je ne sais pas grand chose. Mes sens ont véritablement déserté mon corps. Je ne ressens plus rien, ni peur, ni haine, ni angoisse. Je ne ressens que du vide. Je suis vide.
C'est un peu frustrant de se dire que je ne suis plus rien. Je m'étais toujours considérée comme une fille qui avait des goûts très arrêtés. Mais là, plus rien. Alexis est en face de moi, des fils parcourent ses bras. Les médecins ne savent pas grand chose, eux non plus. J'ai prétexté être sa sœur pour pouvoir le voir. Et, entre nous, Chers Mots, la vision n'est réjouissante. Une partie de son visage est bandée, l'autre juste amochée. Le moniteur cardiaque fait des bips, monotones et réguliers ; mon cœur, lui, a arrêté d'exister.
Voir Alexis dans cet état ne me fait rien. C'est déroutant. Il m'a sauvé la vie, mais je ne peux rien faire pour sauver la sienne. Ce qu'il ne sait pas, c'est que ses actions ne sont que temporaires. Je comptais partir, et pour des raisons qu'il ne connaîtra jamais. Pour des raisons que, même vous, Chers Mots, vous ne connaîtrez jamais.
Je sais pertinemment ce qu'il me reste à faire : saisir une seringue, un tuyau, qu'importe, et le planter. Je ne sais pas ce quels seront les effets immédiats, surement de la douleur. Mais à long terme, je partirai. C'est loin de me réjouir, mais je n'ai trouvé que cela comme solution. C'est une solution de faiblesse, j'en suis consciente. J'aurais pu me battre, aider Alexis à remonter la pente. Mais nous serons à jamais ailleurs, loin du monde, des humains, des gens sains. Nous serons loin de nous, loin de l'autre. Je ne rêve pas de cela.
Prenez soin de vous, Cher Mots, n'oubliez jamais que quelque part, quelqu'un vous aime. Moi, la seule personne susceptible de m'aimer est partie. Mais pour vous, l'espoir est permis.
Avec toute la tendresse la plus profonde,
Niel, l'exilée.
p.10
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L'intraveineuse de sens
General FictionAu final, que sommes-nous ? Niel le sait. Elle le sait, parce que les mots le lui ont dit. Tout simplement. #210 dans Fiction Générale (28.08.2016) © Je suis un paradoxe. | 2016 #JeSuisResponsableDeCeQueVousLisez