Huitième fragment

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Je m'ennui sérieusement. Je dois passer en dernier, étant un des seuls professionnels du groupe. Je dois soi-disant « montrer l'exemple d'une performance d'artiste expérimenté ». J'écoute d'une oreille distraite les autres chanter à tour de rôles. Tous sont plutôt doués.

Je zone sur Instagram et Twitter pour tromper mon ennui. Je discute avec Victoire par message. Elle a l'air plutôt chaude pour qu'on se voit ce soir. Ça fait deux semaines que j'attends qu'elle arrête de faire sa timide. De temps en temps, je lève les yeux et capte le regard brulant qu'Emily me jette depuis son siège, à quelques mètres. Je me demande quelle tête elle ferait si elle pouvait voire les textos que j'envoie en ce moment même. Imaginer son expression me fait presque rire. A côté d'elle, sa pote m'ignore royalement même si je sais à ses sourcils froncés qu'elle a vu la manière dont Emily me bouffe des yeux. Mais honnêtement, je n'en ai rien à foutre.

- Groupe numéro 8, s'il vous plait, crie Zoé en mettant ses mains en portevoix.

Je soupire ; encore 4 groupes avant moi. J'aurais dû demander à Framal ou Mekra de m'accompagner. On aura fait les cons et je ne me serais pas fait chier pendant une heure, tout seul.

Quand je vois qu'Emily et la chieuse se lèvent et montent sur scène, je me redresse un peu, intéressé. C'est l'occasion de savoir si elles méritent leurs places ici ou pas. Contrairement à ce que je pensais, ce n'est pas Emily qui s'installe derrière le micro mais l'autre fille. Elle semble nerveuse et tord ses mains à cause du stress.

- Prêtes ? leur demande Zoé.

Elles acquiescent en cœur.

Emily commence une mélodie au piano. C'est très doux et apaisant ; elle joue bien. La blonde ferme alors les yeux et colle ses lèvres contre le micro. Elle se met à chanter.

J'ouvre un peu les yeux sous la surprise ; sa voix est incroyable. Elle est rauque et claire en même temps, aigue et grave, heureuse et triste, candide mais en même temps très sensuelle. Elle se fond parfaitement avec les notes pures du piano. Les paroles sont en anglais et se calent de façon très juste sur le tempo.

Je suis pris de frissons ; mes bras se couvrent de chair de poule. J'ignore comment un si petit corps peu produire un son aussi puissant. En regardant autour de moi, je constate que je ne suis pas le seul à être enveloppé par cette voix magique. Tout le monde semble bouche bée. Même Zoé.

Je comprends en même temps que les autres que ces deux filles s'avèrent être des adversaires de taille pour le concours du festival. Je pense avoir toutes mes chances mais je remarque dans les regards de certains artistes, un peu de haine et de jalousie.

Durant la performance, j'ai tout le temps de détailler la chanteuse. Elle est de taille moyenne, la peau légèrement halée. Ses cheveux blonds forment comme un halo doré autour de sa tête. Ses pommettes sont bien dessinées, ses lèvres sont pleines et ses sourcils plus foncés que ses cheveux apportent du caractère à son visage. Elle ne porte pas de maquillage. Ses formes sont cachées par une chemise lâche et un jean ample.

Elle n'est pas bonne ; elle est belle à la manière des anges ; une beauté froide et distante, presque mystique. Mais elle reste une chieuse qui juge les gens et s'énerve pour un rien. Et ça c'est, à mes yeux, impardonnable.

La chanson se termine et inconsciemment, je ressens comme un vide. J'aimerais entendre cette voix à nouveau. Les filles descendent de scène, assez excitées par leur performance. Elles se sourient en riant un peu.

Brusquement, la joie disparaît du visage de la blonde et est vite remplacée par de l'agacement. Je la vois qui capte le regard d'une grande rousse qui la fixe avec jalousie. Entre les deux filles, une tension assez violente apparaît. La blonde fait un pas en direction de l'autre fille, visiblement prête à en découdre. Je m'enfonce confortablement dans mon siège, prêt à profiter du spectacle. Rien de mieux qu'une dispute entre filles pour pimenter l'ambiance. Sous leurs apparences fragiles, les filles sont de vraies tigresses entre elles. Je l'ai appris à mes dépends lors d'une soirée assez arrosée ; nouvelle petite amie + ex-copine + plan cul + alcool, ça n'a jamais fait bon ménage.

Malheureusement pour moi, Emily retient son amie de la main. Je souffle légèrement déçu et retourne à mon ennui profond.

- Hum hum...

J'entends quelqu'un se racler la gorge en face de moi. Je lève les yeux ; c'est Emily et la chieuse. J'adresse à la première un sourire en coin que je veux avenant.

- Ken, je te présente ma meilleure amie, Estelle.

- Ouais, salut...elle grommelle.

Clairement elle préférerait ne pas m'adresser la parole. On voit bien à son manque flagrant d'enthousiasme qu'Emily l'a forcé à venir me voir et qu'elle aurait préféré rester bien sagement dans son coin à me lancer des regards noirs. Je ne peux résister à l'envie de l'embêter un peu.

- Oui, on a déjà plus ou moins fait connaissance.

Elle fronce les sourcils mais ne dit rien.

- Ah bon ? dit Emily, surprise.

- Oui, un peu plus tôt. J'ai pu faire l'expérience de sa gentillesse et de son self-control.

Je me marre intérieurement de voir Estelle fulminer. Elle se contient devant sa pote, ce qui prouve qu'elle est un minimum civilisée.

- Je sais, elle est très...

Emily hésite quelques secondes.

- Franche ?

« Casse-couilles j'aurais plutôt dit »

- C'est ça parlez de moi comme si je n'étais pas là. De toute façon je dois y aller...

- Je fais une ressoi chez moi après, vous pouvez venir si vous voulez, je l'interromps.

Je propose surtout à Emily.

« Quoi ? Elle est super bonne ! Et en plus elle est douée. »

Je n'ai aucune envie qu'Estelle vienne et je sais qu'elle non plus. Je veux juste savoir de quelle manière elle va dire non ; polie ou pas ?

- Non merci, j'ai des choses de prévues.

« Polie », je suis surpris.

- Quelles choses ? Tu ne fais jamais rien les vendredis soir, fait remarquer Emily, l'air perplexe.

Estelle rougit un peu et je ne sais pas si c'est à cause de la gêne ou de l'agacement.

- Et bien ce soir j'ai des choses à faire ! Avec de gens que tu ne connais pas... Elle commence à élever un peu la voix et je sens qu'elle va perdre ses moyens dans quelques secondes. Allez, je dois y aller.

Elle plante une bise sur la joue d'Emily en lui soufflant un faible « amuse-toi bien » pas très sincère. Puis elle me grommelle un « salut » qui semble lui arracher la gorge avant de s'éclipser dans la foule.

- Elle ne reste même pas jusqu'à mon tour ? Je suis vexé, je dis à Emily, ironique.

- Elle a toujours été aussi peu sociable, ça n'a rien de personnel. Moi je vais rester, j'ai hâte de voir la performance du grand Nekfeu !

Elle me dit cela en rigolant, ce qui révèle des fossettes adorables sur ses joues pales. Je lui souris en retour.

« Je vais m'appliquer à t'éblouir, beauté. »


L'amour des étoiles filantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant