Investigations

48 3 1
                                    

Julien

Réveil au taquet.

Encore ces messages sur mon téléphone. Je les ouvrirai plus tard.

L'objectif de ma journée se résume en trois mots : Trouver Ma Brunette. Le reste attendra.

J'enfile ma tenue et part pour un footing de mise en jambe. J'ai besoin de respirer et de réfléchir avant de m'enfermer aux urgences.

Hier soir, j'ai annulé mon rencard hebdomadaire avec Tatiana, la radiologue. Juste un message, quelques mots efficaces pour rassurer, expliquer, en somme me défiler sans confrontation. Elle ne m'a jamais posé de question. Ce serait de toute façon mal venu de sa part. Mariée, elle n'attend rien de plus que nos baises régulières depuis un an.

Non pas que je ne voulais pas la voir, mais le besoin viscéral de dessiner en toute quiétude s'est imposé sans alternative possible. Brunette trottait dans ma tête depuis notre soirée. Notre rencontre d'hier a ravivé les visions d'elle, qui font galoper mon cerveau.

Mon bloc de dessin est de nouveau habité par des femmes dans différentes positions, la plupart très lascives. Bon, elles se ressemblent toutes. Cheveux courts, brune, des yeux clairs, un cul rebondi, un grain de beauté en haut du sein gauche...

J'ai dormi comme un loir, l'esprit vidé et serein. Un peu comme avoir tiré un coup, en moins intense. Ce matin, pour la première fois, mes idées sont claires. Je sais où je vais : vers elle.

Je pars de chez moi, dégourdi et plein d'entrain pour aller bosser, ou plutôt mener mon enquête !

Elle travaille certainement en radio, car elle se trouvait avec Julia, une fille du service. Elle sort de temps en temps avec Nico. En parlant de lui, impossible de lui demander le numéro de ma Brunette. Il le possède et n'attend que ça ! De toute façon, je vois clair dans son jeu vicieux.

La salle d'attente est bondée. Les dossiers s'accumulent, mais aucun ne nécessite un examen d'imagerie. Pas même le moindre accident de la voie publique !

Deux heures, une ponction lombaire et quelques sutures plus tard, les pompiers amènent un patient conscient, désorienté. L'un d'entre eux débriefe :

« Homme de trente-huit ans. On l'a trouvé en rentrant à la caserne. Convulsions. A priori, perte de connaissance avec chute à terre. Sa tête a heurté le coin d'une marche d'immeuble. »

A l'examen clinique, il présente un choc sur l'os temporal et des saignements provenant de l'oreille externe.

L'infirmière traite les convulsions. Le patient réussit à m'expliquer, qu'il a cessé de boire depuis deux jours. Il accompagnait ses prises d'alcool d'anxiolytiques, qui, dans son cas, ont renforcé ses crises d'épilepsie au lieu de les diminuer. Bref, un sevrage alcoolique traumatisant. Je ne me formalise pas plus. C'est ma routine.

J'envisage une possible hémorragie interne. Enfin un scanner à prescrire !

Dès que mon patient se stabilise, je file en imagerie avec Serge, un de nos brancardiers attitrés.

Sur le chemin, je ris intérieurement à l'idée d'être aussi gamin. D'habitude, je n'accompagne pas les patients... La pile de dossiers va s'accumuler, mais mon retard en vaut peut-être la chandelle !

Arrive ma réflexion. L'équipe d'imagerie tourne sur deux scanner, deux IRM, sans compter une dizaine de salles de radios et les manipulateurs qui tournent dans les étages pour les radios de lit et les sorties de bloc opératoire... Ils doivent être au moins cinquante !

Mes chances de la croiser sont minimes. Je croyais quoi ?

En arrivant dans la salle de consoles, là où sont gérés les examens, je dévisage un peu trop l'équipe présente. Une des filles rougit, la respiration de sa voisine a du se couper. Je connais l'effet de ma belle gueule, mais là j'en abuse et ça m'amuse !

Je ressors du bureau du radiologue, ma prescription acceptée, pour la remettre à l'une des techniciennes. Cédric, le cadre du service, s'approche des papiers à la main.

« Hé Julien ! Ne distrais pas trop mon équipe s'il te plait ! »

« J'essaie, mais c'est plus fort que moi ! Je leur ai emmené de quoi penser à autre chose que moi pendant cinq minutes... »

Après un bref échange, je constate qu'il a posé les plannings de son équipe sur le bureau. Je vérifie mon téléphone. Pas d'appel d'urgence. Ca tombe bien. Il me faut un peu plus de temps pour la trouver, surtout sans son nom de famille !

« T'as deux minutes Cédric ? »

Il observe sa montre avant de me demander un instant.

Il s'enquiert du déroulement de l'après-midi avec les filles présentes et je l'invite à boire un café. La discussion est aisée. Je l'entraîne sur notre dernier match. C'est l'avantage de faire partie de la même équipe de foot depuis trois ans.

Il pose ses fameux documents sur la table du café. Mon intérêt soudain pour la paperasse l'interpelle. « Ca t'intéresse ? T'as envie de faire mes plannings ? »

Je lui réponds en tournant les pages d'un air dégagé.

« Oh que non ! L'administratif, c'est pas pour moi ! Je me demandais juste combien de personnes tu gères ? »

Il poursuit ses explications. Ils sont effectivement 56 manipulateurs et 4 aide-soignants ! Ca je m'en fous, Cédric ! J'ai envie de lui demander directement s'il a une Anna dans ses recrues !

Au risque de paraître inquisiteur, je feuillette toujours ses papiers. Tant pis ! Il me la faut au plus vite !

Yes ! Je t'ai trouvé ma belle ! Il n'y a qu'une seule Anna et elle travaille ici aujourd'hui ! Mais où te caches-tu Brunette ? On n'a pas de temps à perdre toi et moi !

En ouvrant la porte, je suis stoppé net. Encore une fois, je la bouscule, alors qu'elle s'avance. Sa poitrine rebondit sur mon torse. Délicieux ! Elle lève son visage. Ses yeux verts électrisent notre contact. Ses joues rosissent. Ses dents serrent sa lèvre charnue.

Nous restons un instant paralysés l'un contre l'autre.

Je me reprends. « Décidément Brunette ! L'intensité, c'est notre créneau ! »

Je lui souris, et me retiens de replacer une mèche derrière son oreille. En nous croisant, ma main glisse délibérément le long de sa taille. Elle tourne la tête. Nos regards se suivent. Elle aussi semble lutter pour retenir cet instant trop furtif.

Ses collègues nous observent. Je le sens. Je ne devrais pas faire ça ici !

Elle trépigne et prend sur elle. « Tu m'en veux à ce point pour m'écraser tous les jours ? »

Mon téléphone sonne. La régulation m'annonce que le SAMU arrive dans dix minutes avec deux blessés par balle. Je prends un air grave.

« Oui, d'ailleurs, il faudrait qu'on se voit très rapidement pour en parler ! Ca ne peut plus durer cette animosité ! »

Elle sourit et tente de crisper son visage, pour maîtriser en vain son air émoustillé.

Je m'approche du téléphone de la salle de console, sur lequel repose le numéro d'appel, avant de retourner aux urgences.

Dès la porte du service franchie, je le compose.

Une voix abrupte me répond. « Scanner des urgences ! »

« Salut ! Tu peux me passer Anna, c'est Nico, son pote infirmier ! » Si on considère que je suis l'ami de son pote, je suis un peu son pote aussi. Donc tout n'est pas faux...

« Oui mon Nico, ça va ? Que puis-je pour toi ? »

Mon Nico ! C'est quoi ça ! Passons. J'aime tellement sa voix. Je souris tout seul, presque béat tout en courant vers mon poste. Je jubile de connaître ses horaires ! Elle ne m'échappera pas aujourd'hui !

« Tu pourrais me rejoindre à la fin de ta vacation, dans une heure, bâtiment Curie, escalier B ! »


Tant que je pourrai t'aimer (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant